Dans les rêves, recueil de 13 nouvelles de Delmore Schwartz, légende de la littérature américaine et mentor de Lou Reed, décrit le quotidien, la psyché de jeunes intellectuels new-yorkais dans l’Amérique des années 30 : pourquoi tant de culte ?
Grande était mon excitation d’enfin découvrir Delmore Schwartz édité, jusqu’ici, sporadiquement en France. Lou Reed n’eut de cesse de vanter les mérites de ce novelliste et poète new-yorkais (1913-1966), chantant ainsi dans My House (The Blue Mask en 1982) : « Delmore, I missed all your funny ways – I missed your jokes and the brilliant things you said ». Dans le même registre, comme nous l’apprend la postface très éclairante de Thierry Clermont, Saul Bellow qualifiait Delmore Schwartz de « Mozart de la conversation ». Ces deux points de vue illustrent assez ce qui nous attend : les personnages conversent beaucoup (trop ?) passant des sujets des plus profonds aux plus futiles sans oublier des digressions nébuleuses. On imagine aisément pourquoi Lou Reed adulait Delmore Schwartz tant ce qui est raconté dans ces nouvelles notamment dans Le monde est un mariage semble le reflet de ce que devait être le quotidien, les fréquentations du futur songwriter devant se coltiner sa famille juive de Brooklyn, les affres de la société de consommation américaine et les tourments des jeunes intellectuels tentant de survivre grâce à des emplois alimentaires. Ces thèmes sont d’ailleurs le fil rouge de ce recueil.
On ne peut s’empêcher d’apercevoir dans le personnage de Shenandoah Fish, double assumé de Delmore Schwartz, dans L’Amérique, L’Amérique, ou dans Le réveillon, un clone – a posteriori – du futur Lou Reed, à savoir un artiste autosatisfait, surplombant ce qui l’entoure, amis et admirateurs inclus : « Mais, en sa qualité d’auteur atypique, il était un monstre à leurs yeux. Ces êtres seraient contents de voir son nom imprimé, et d’apprendre qu’ils faisaient parfois l’objet de louanges, mais jamais ils ne s’intéresseraient à ses écrits.[…] c’était trop profond pour eux, ou trop aride ». Ceux qui ont fréquenté les concerts de Lou Reed, lu ses interviews, comprendront de quoi il retourne…
La nouvelle C’est dans les rêves que les responsabilités commencent qui ouvre le recueil, après une préface succincte de Lou Reed écrite, en 2012, un an avant sa mort, est la plus fameuse de Delmore Schwartz. Martin Scorcese eut d’ailleurs le projet de l’adapter au cinéma : le rêve d’un homme assistant à la première rencontre de ses parents, en 1909, comme s’il visionnait un film muet (on les voit – off course – déambulaient à Coney Island…). Ce procédé onirique est également utilisé dans la nouvelle au titre horriblement traduit par La rencontre athlétique, le titre original étant The athletic meeting (Meeting d’athlétisme en bon français). Coté traduction, nous ne sommes pas au bout de nos peines puisque la nouvelle relate un match de baseball, le traducteur s’en donne alors à cœur joie en traduisant « home run » par « coup de circuit » et quand il tente de traduire les règles du baseball – dont Delmore Schwartz était spécialiste – on atteint des summums abscons (manifestement Daniel Bismuth n’entravait que couic au baseball).
La question qui se pose immédiatement est « Quid de la qualité littéraire et littérale de la traduction de ces nouvelles ? ». Quelle aurait été la traduction d’un Philippe Garnier ou d’un Nicolas Richard excellent traducteur, entre autres, de Brautigan et auteur, en 2022, du très bon Par instants le sol penche bizarrement – Carnets d’un traducteur.
Il est évident, après la lecture de Dans les rêves, que Delmore Schartz a eu une influence majeure sur la littérature américaine – au-delà de son rôle de professeur de « creative writing » à Syracuse – on trouve sa marque dans pas mal de romans de Roth ou de plus contemporains comme Franzen et notamment dans leur propension à décrire des personnages qui donnent leur avis sur tout et sur rien (ce qui est questionnable…). On peut aussi rester perplexe pendant la lecture de Dans les rêves tant ce qui nous est relaté est autocentré sur des sujets d’un monde d’hier localisé à Brooklyn, dans un univers intellectuel et un quotidien qui nous est parfois étranger. On espère juste que la singularité du récit et sa qualité littéraire ne nous ont pas été masquées par une traduction médiocre (qui semble dater). Bref ne faudrait-il pas retraduire Delmore Schwartz afin que nous découvrions les qualités et les trésors qu’on nous avait tant vantés ?
Éric ATTIC