On attendait au tournant l’adaptation, à la manière de Le Carré, de l’incroyable histoire (vraie) de la pire trahison dont aient été victimes les services secrets occidentaux, mais A Spy Among Friends résulte de choix d’écriture, ainsi que de choix idéologiques, très discutables.
Décidément, avec le retour de l’affrontement – pas encore militaire, pour l’instant – entre l’Occident et la Russie, les récits d’espionnage tournant autour des infiltrations et des manipulations russes ont le vent en poupe. En attendant de conclure la seconde saison de Slow Horses, sur les « espions dormants » implantés par le KGB en Occident, voici donc A Spy Among Friends, mini-série de 6 épisodes revenant sur l’affaire (bien réelle) Kim Philby : ce membre célèbre des services secrets britanniques, qui s’est illustré durant la seconde guerre mondiale, a été en effet peu à peu soupçonné d’être un agent soviétique, jusqu’à ce qu’il doive fuir à Moscou en 1963 pour ne pas être arrêté. Ayant surtout inspiré Le Carré pour son plus fameux roman, la Taupe, Philby est devenu une sorte de personnage emblématique (mais de quoi ?) souvent cité dans la culture anglo-saxonne.
La série de Nick Murphy (à la réalisation) et Alexander Cary (au scénario) n’est pas inspirée des faits réels, pourtant passionnants, mais est l’adaptation d’un livre du romancier anglais Ben Macintyre. Elle donne rapidement l’impression très désagréable d’ignorer l’impact catastrophique de la trahison de Philby sur nombre d’événements géopolitiques de l’après-guerre, pour se concentrer sur une belle histoire d’amitié trahie : comment passer de la grande histoire à la toute petite en six épisodes finalement lénifiants, voilà ce que réussit à faire A Spy Among Friends (il est amusant que voir que, dans la réalité, Kirby s’est aussi enfui avec l’épouse de l’agent sensé lui tirer une confession complète à Beyrouth, ce qui rajoute une nouvelle couche de trahison sur la relation entre les deux hommes…).
Pire encore, A Spy Among Friends semble en permanence ne faire qu’effleurer son vrai sujet, qui est l’arrogance de la classe « supérieure » britannique, cet esprit d’entre-soi (qui a d’ailleurs amené à la récente catastrophe du Brexit) : la CIA ayant depuis longtemps déterminé que Kirby était un agent double, et un fervent pro-communiste, c’est toute la haute société britannique, avec le poids de ses institutions – la police, la justice, mais pas que… – qui a protégé le traitre pendant de longues années, niant les preuves de plus en plus probantes de sa trahison. Ce point fondamental à la compréhension de l’histoire est certes mentionné, mais comme en passant, et l’opposition un peu caricaturale, mais potentiellement déterminante entre l’enquêteuse du MI-5, d’origine prolétaire, et Nicholas Elliott, l’ami de Philby, semble se muer au fil du temps en complicité. Comme quoi, nul volonté ici de dénoncer les vices de la société de castes qui condamne la Grande-Bretagne à l’immobilisme et à la réaction, mais au contraire l’illusion perpétuée que cette collusion entre gens de pouvoir est normale, parce que, quelque part, ils « savent ».
On voit que le fond de A Spy Among Friend est réellement problématique, ce qui est dommage par rapport à la réussite formelle qu’est la série : elle excelle dans la recréation nauséeuse d’une époque – le début des années 60 – noyée dans la grisaille du conformisme généralisés (le Londres qu’on nous montre ici n’est guère plus folichon que le Moscou soviétique, et dans les deux mondes, on noie son ennui et son dégoût dans l’alcool. Et elle bénéficie d’une interprétation remarquable de Damian Lewis, finalement bien plus convaincant et touchant ici que dans Homeland, et d’Anna Maxwell Martin, qui arrive à sauver son personnage de policière brillante trahie par ses origines (et son accent de… Durham !). Il n’y a guère que Guy Pearce qui passe à côté d’un rôle qu’on imaginait plus fort, et qui n’est sans doute pas assez bien écrit, puisque la série insiste finalement sur son côté charmeur et sympathique, en faisant fi de sa célèbre arrogance.
Si l’on ajoute que, curieusement, Cary a choisi de ne pas terminer son récit et de le laisser se conclure sur des cartons racontant la suite et la fin de l’histoire, il faut bien admettre que, malgré le charme indéniable qui se dégage de cette fiction complexe et au rythme mesuré, A Spy Among Friends est une déception.
Eric Debarnot