A travers des dessins enfantins et une histoire faussement simple, Minna Yu nous dépeint avec délicatesse ce qu’était la vie des paysans chinois à la fin du siècle dernier, et comment la modernité a tout changé. Tout simplement passionnant…
Et si l’un des plus grands intérêts de la littérature, et de la bande dessinée par extension, était de nous permettre de voyager autour du monde, à peu de frais : pas des voyages touristiques, certes, mais, et c’est la plupart du temps bien plus beau, bien plus fort, des voyages dans la tête, dans le cœur et dans l’âme de gens à l’autre bout de la planète. Et de faire l’expérience de la manière la plus intime possible de ce qu’est, ou ce qu’a été, leur existence. Bien loin des résumés simplificateurs que proposent les médias, ou pire encore des affirmations et déclarations péremptoires qui explosent sur les réseaux sociaux.
On n’avait jamais particulièrement réfléchi à ce que pouvait être la vie de paysans « pauvres » (selon nos standards) en Chine à la fin du siècle dernier, et comment la soudaine prospérité apportée (à certains…) par l’industrialisation accélérée du pays est venu bouleverser des modes de vie qui semblaient éternels. L’impact émotionnel très fort d’Un palais au village (Quand papa est devenu riche), le premier « roman graphique » de Minna Yu, jusqu’alors illustratrice et autrice de livres « pour enfants » vient tout d’abord de cela : cette révélation bouleversante de la réalité de vies simples, qui vont peu à peu être profondément changées par la « civilisation » (?) en marche.
Minna Yu nous raconte, à travers une histoire faussement simple – qui joue toutefois habilement de flashbacks sur l’histoire de sa famille -, dessinée (au crayon) avec un dépouillement du trait qui peu à peu impose sa vérité, sa propre enfance dans une famille paysanne dont l’existence sera transformée par la réussite financière d’un père en permanence absent.
La première partie, chronique délicate d’une vie ordinaire, vue à travers les yeux d’une petite fille, Nannan, est très touchante, et a un caractère « documentaire » qui la rend passionnante, en dépit – ou peut-être à cause – de la simplicité des situations décrites. Quand le bouleversement radical survient, parce que le père se met en tête de bâtir pour sa famille – qu’il a toujours délaissée, n’apparaissant chez lui que deux fois par an ! – un véritable palais, le livre prend un aspect plus comique, décrivant avec affection les changements apportés à tout le village. On peut d’ailleurs s’étonner de l’absence de « réactions » négatives de la part des autres villageois, tant on imagine facilement la jalousie qui serait prépondérante dans nos contrées… Peut-être cette vision idéaliste d’une société où le progrès se partage (même si le téléphone coûte cher !) correspond-elle au regard enfantin de Nannan, ou bien à la réalité d’une culture chinoise traditionnelle où la communauté prévaut, et où l’on sait que le progrès finira de toute manière par arriver pour tous.
Mais le plus beau personnage d’Un palais au village, celui qui permet au livre de transcender la chronique enfantine un peu trop gentille, c’est celui de la mère, force de la nature à la détermination insensée, mais dont les principes seront menacés par le basculement du monde autour d’elle. On comprend à la fin combien ses valeurs, aussi simples soient elles, ont permis à Nannan d’aller de l’avant, de sortir de l’isolation de son village qui vient juste d’être enfin desservi par une vraie route, de partir explorer de grand monde.
Inutile de dire qu’on attend avec impatience un second volume qui devrait, en toute logique, nous raconter l’accès de Nannan à l’éducation dans l’école qu’elle rejoint.
Eric Debarnot