DOA, un des meilleurs auteurs de polars français, nous offre encore un grand roman. Un roman sociétal, en (très) noir et blanc, tendu comme un arc, violent et brutal, sans concession et sans guère d’espoir et encore moins d’amour. A lire d’un trait, pour passer une nuit blanche et se lever avec suffisamment de désespoir pour affronter la violence du monde.
Arrivé en littérature au milieu des années 2000, DOA / Hervé Albertazzi s’est rapidement taillé une vraie réputation dans le monde du polar. Quelques romans, relativement peu en fait, auront suffi. Dès son second, Les fous d’avril, un prix. Rebelote avec le troisième, Citoyens clandestins. Au total, quatre récompenses pour huit romans publiés (et quelques nouvelles). Et ce n’est évidemment pas un hasard. Une écriture complexe, sans emphase et qui sait s’adapter à l’action. Des intrigues sophistiquées, à en faire rougir un John Le Carré ou un Robert Ludlum, étayées par une documentation à la solidité et au sérieux qui pourrait faire pâlir d’envie bon nombre de chercheurs. Des personnages nombreux comme dans des pièces du répertoire classique. Sans compter cette fibre sociale et réaliste qui plonge lectrices et lecteurs dans la noirceur et la décadence du monde contemporain. Noir, déprimant, vrai. Ces qualités se retrouvent dans ce Rétiaire(s).
L’histoire ? Rétiaire(s) est à la fois un roman sur la vie en prison, le trafic de drogue, les relations de domination dans des groupes de gangsters, les relations troubles entre police et malfaiteurs, celles difficiles entre la police et la gendarmerie à l’histoire suffisamment complexe pour rendre impossible un résumé en règle. Plusieurs personnages se partagent l’affiche, sans qu’on sache bien lequel est le principal. Toutes et tous participent à cette pelote d’intrigues qui se nouent et se dénouent autour d’un trafic de drogue que policiers et gendarmes essaient de démanteler tout en se battant entre eux pendant qu’un flic ripou (vraiment ?) se retrouve en taule avec un de ses anciens indicateurs lui-même impliqué dans le trafic auxquels les susnommés gendarmes et policiers essaient donc de mettre fin. Filer les malfrats n’est pas une sinécure – surtout quand on est gendarme et que les policiers ne collaborent pas. Vivre en prison est une horreur – ce dont on se doute malgré tout – mais encore plus quand on est un flic qui a buté un trafiquant. Être un gangster peut avoir un certain attrait, la vie est brillante, les voitures sont luxueuses, mais à quel prix ! Et cela reste vrai pour une minorité seulement et assez peu pour les femmes…
Dit comme ça, on peut avoir l’impression d’une sorte de caricature, un polar pour les nuls avec tous les poncifs du genre. Dit comme ça, on peut avoir l’impression d’une sorte de caricature, un polar pour les nuls avec tous les poncifs du genre. Même si c’était le cas, pourquoi pas ; après tout, on lit aussi des polars pour que ce soient des polars, pour qu’ils nous parlent de malfrats violents, de trafficants sans scrupules, de leurs vies violentes, arrosées de champagne millésimé et menées dans des voitures de luxe mais expédiées très vite dans le décort. On lit des polars pour planquer des nuits entières avec du café froid et des sandwiches au pain de mie dégueu. On lit des polars pour partager la misère et la noirceur du monde. Et c’est là que DOA réussit son coup. Il construit peut-être son roman sur des clichés mais leur donne une vraie vie, une densité et une intensité incroyables. Rétiaire(s) est tendu comme une arbalète du début jusqu’à la fin. Les personnages sont bons, avec suffisamment d’ambigüité quand il faut et pas du tout quand ça ne l’est plus. Le roman est superbement découpé et construit. Les scènes ne manquent pas de réalisme. Certaines sont remarquables, même. La scène du parking souterrain, par exemple, vous tiendra suspendu au-dessus du vide par un fil, à n’en pas douter. Vont-ils y arriver ? Vous réaliserez à la fin que vous l’avez lue en apnée, au moment où vous reprendrez votre souffle.
Cette scène a d’ailleurs un côté cinématique évident. Comme d’autres, d’ailleurs. Comme les flashbacks – qui compliquent un peu la lecture et dont on peut malgré tout regretter un certain abus. Cela ne ferait-il pas une belle série ? finit-on par se demander après quelques dizaines de pages. En effet… comme nous l’apprend une très intéressante postface, le roman a d’abord été un projet de série qui a été proposé au service public qui, avec la clairvoyance qui le caractérise, a refusé – qui aurait besoin d’une telle série quand on diffuse déjà Inspecteur Barnaby ? Finalement, tant pis pour eux. Tant pis pour vous qui devrez chercher autre chose à regarder, mais tant mieux pour nous qui n’auront pas à allumer notre poste pour passer un très bon moment. DOA montre qu’il sait passer d’un scénario à un roman avec une maestria éclatante.
Alain Marciano