Avec le très court Venez voir, Jonás Trueba, l’auteur de Eva en août, tente d’introduire en partie les effets du confinement dans sa petite musique rohmérienne. Sans totalement convaincre.
Fils du cinéaste Fernando Trueba, cinéaste ayant débuté en 2010 mais distribué dans l’hexagone depuis seulement deux ans, Jonás Trueba serait rayon marivaudage et cinéma à dispositif un cousin madrilène d’un Brac ou d’un Hong Sang-soo. Et ses films se passent dans un équivalent madrilène du hipsterland : tel personnage va râler sur la traduction inexacte d’un texte de Leonard Cohen. Si j’ai pu apprécier certaines de ses œuvres (Todas las canciones hablan de mí, La Reconquista), j’ai moins goûté que la critique française Eva en août et Qui à part nous. Le premier m’avait semblé alourdi par sa métaphore de mi-film. Le second, documentaire-fleuve en forme de frangin ibère d’Adolescentes, plombé par l’envie de faire un documentaire qui serait aussi son propre work in progress.
Avec Venez voir, Trueba a voulu faire un film très court prenant le contrepied de son très long Qui à part nous. Il a aussi essayé de rendre compte des changements liés au confinement. Ce dernier point serait plutôt sympathique : on n’a pas vu beaucoup de masques dans des films « naturalistes » récents alors que la période de son port obligatoire dans les transports en commun n’est pas si éloignée. Masque justement porté par le couple madrilène Elena/Guillermo lors de leur trajet ferroviaire vers la banlieue pavillonnaire de leur couple ami Susana/Dani. Le choix résidentiel de Susana/Dani et l’annonce de la grossesse de Susana vont perturber Elena et Guillermo au début réticents à venir les voir. Mais ils décideront finalement de prendre le train, avec de façon pas très subtile le Let’s move to the country de Bill Callahan pour signaler cette petite évolution d’état d’esprit.
Et une fois arrivés, c’est le travail du philosophe allemand Peter Solterdijk qui jouera un rôle important lors de la scène du déjeuner des deux couples. Son œuvre permet d’introduire l’idée de caractère trompeur des apparences, idée contenue dans le titre du film : cette autre vie n’est pas si terrible et Susana a fait une fausse couche. Surtout, Sloterdijk avait théorisé, il y a une dizaine d’années, le concept de co-immunisme, concept ayant gagné en notoriété suite au COVID. Il repose sur l’idée que la protection du collectif commence par considérer le monde entier comme faisant partie de notre intimité. Concept qu’Elena va étendre bien sûr aux questions écologiques. Hélas, le film n’est jamais plus que son programme de compte-rendu des changements post-COVID. Dans la manière de les raconter, il lui manque souvent le ludisme des meilleurs films de Trueba. Et lorsque sur la fin le film tente la digression, tout cela est saboté par une manière lourdement post-moderne de rappeler que « tout ceci n’est que cinéma ». Comme si le propos sur la fausseté des apparences avait besoin d’une deuxième couche en forme de réchauffé Nouvelle Vague.
A l’excès d’étirement de son documentaire répond ici la confusion entre vitesse et précipitation. Sans compter qu’il est sans doute préférable de s’être un peu renseigné sur Solterdijk avant visionnage, sa philosophie n’étant pas vraiment clarifiée par le récit.
Ordell Robbie