Un premier roman maîtrisé et enlevé qui nous propulse sur la lune et qui nous donne envie d’y rester ! Rachel Arditi raconte la maladie, la vieillesse, l’amitié et le théâtre avec drôlerie, avec distance, envie, gourmandise. Avec joie. Une comédie dramatique, mais une comédie quand même. On rit les larmes aux yeux.
Vers le milieu de J’ai tout dans ma tête, lors d’une soirée arrosée et cocaïnée entre comédiennes, comédiens, réalisateurs de cinéma, metteurs en scène de théâtres, agents, Rachel Arditi fait dire à un de ses personnages, « pour savoir si ton projet tient la route, faut que tu puisses le résumer en une phrase. » Et si on tente de résumer le roman, cela pourrait donner quelque chose comme… c’est l’histoire d’une comédienne – Rachel Arditi elle-même ? On peut l’imaginer même si la couverture dit qu’il s’agit d’un roman – à qui une amie propose de monter l’adaptation du roman en vers de Pouchkine, Eugène Onéguine, pour le théâtre et qui, en même temps, visite son père malade. Voilà le pitch. Quel pitch !
Mais comment en faire 250 pages ? Mystère… non ! Parce que ce livre J’ai tout dans ma tête n’est pas ce que son pitch pourrait laisser penser. C’est une histoire d’amour, c’est l’histoire d’un voyage vers la lune, d’une montée au paradis, c’est l’histoire d’une découverte et d’une affirmation de soi et des autres, et c’est aussi une ode au théâtre. Ce roman est une caverne d’Ali Baba! Un miracle de richesse et de complexité. On y trouve des remarques sur la vie et son sens (« c’est quoi une vie ? »), sur la maladie (Alzheimer) et le vieillissement et la mort, sur les maisons de retraite, et sur les relations père-fille, sur l’amitié et sur l’amour, sur le théâtre et le métier d’actrice, sur la fiction et sur la réalité (et la réalité de la réalité). On y croise Pouchkine et Eugène Onéguine, des Japonais et la reine d’Angleterre. On se promène dans le jardin du Luxembourg et on monte le col de l’Izoard. On prend un café en terrasse à Montmartre, on visite un EHPAD à Nogent-sur-Marne. On écoute une émission sur France Culture (plus vraie que nature). Tout ça !
Et sans que la moindre couture ne se voie, sans qu’on ait l’impression qu’il y ait quoi que ce soit d’artificiel. Rachel Arditi fait preuve – n’oublions pas que c’est un premier roman – d’une maîtrise incroyable dans la narration, dans la construction, dans l’écriture. Parce que J’ai tout dans ma tête est vraiment bien écrit, ni trop simple, ni trop compliqué, sans jamais d’affectation, Rachel Arditi ne cherche pas d’effet inutile et pourtant elle en produit. En particulier grâce à des dialogues excellents, souvent drôles, même si le rire peut être jaune. Jamais enflé, jamais exagéré. Elle est aussi capable de formules savoureuses, voire flamboyantes, comme ce « on peut renoncer à ses rêves. Il est beaucoup plus difficile d’admettre que les autres y renoncent à votre place ». Les personnages, principaux et secondaires, sont plus vrais que nature. Bref, on croit à tout, rien ne tombe à côté, tout est… juste ? Ah ! C’est ce qu’on aimerait dire, c’est plus ou moins ce qu’on pense très positivement jusqu’à la page 90 quand on lit ce que Rachel Arditi, en tout cas ce que la narratrice de J’ai tout dans ma tête dit sur la justesse.
« La justesse, c’est le pire mot qu’on puisse dire à une actrice. Toutes les actrices veulent être plus, spéciales, différentes, singulières, rares, uniques, extraordinaires. Elles peuvent même dans certaines circonstances être moins, ou trop, mais justes, non. Juste, c’est ce travail d’écolier… Juste n’inspire qu’ennui, fadeur et insignifiance. »
Et c’est aussi vrai d’une romancière… Donc, J’ai tout dans ma tête ne sera pas juste. Rare, unique, singulier, peut-être, peut-être pas, cela dépendra, ennuyeux et fade, certainement pas. On ressort de cette lecture profondément ému et gonflé à bloc, plein de vie, plein d’envie de lecture, d’écriture, de théâtre, d’amitié, d’amour, de Pouchkine, et de voyages sur la lune…
Alain Marciano