Après Too old to die young, Nicolas Winding Refn revient avec une nouvelle série tout aussi nébuleuse et visuellement aboutie, et plus rien désormais ne semble vraiment l’intéresser sinon une recherche stylistique constante, ressassée, faisant, refaisant et défaisant, envoyant valser nos attentes et balader les critiques.
S’il y a bien un truc qu’on ne peut reprocher à Nicolas Winding Refn, c’est cette manière qu’il a de travailler au corps, et jusqu’à l’épuisement, la même approche stylistique depuis plusieurs années (depuis Only God forgives en fait) sans jamais se détourner d’un iota de son inextinguible tâche. De la décliner à l’infini, d’en chercher la moindre variation, en observer la moindre oscillation, là dans l’éclat ouaté d’un néon rose ou dans un langoureux travelling sur fond de synthés entêtants. Au risque, évidemment, de tourner en rond, de se répéter ad nauseam. De s’abstraire dans un système qui ne serait plus capable de se renouveler mais, simplement, de se plagier au point de frôler la caricature narcissique.
Plus rien désormais ne semble vraiment intéresser Winding Refn sinon cette recherche artistique inlassable, ressassée, faisant, refaisant et défaisant, s’aventurant, s’en foutant, envoyant valser nos attentes et balader les critiques. Il y a trois ans, c’est Amazon qui avait craché pour (se) payer ses expérimentations visuelles sous forme de série-film radicale (Too old to die young) qui en avait laissé plus d’un sur le carreau. Cette fois, c’est Netflix qui s’offre le réalisateur danois (comme chez Amazon, c’est carte blanche et zéro restriction) pour une nouvelle série en six épisodes (Winding Refn ne paraît plus s’épanouir que de cette façon, façon qui lui permet de s’affranchir totalement des contraintes, techniques et commerciales, du cinéma) aussi nébuleuse et visuellement aboutie que la précédente, et qui devrait, elle aussi, ne pas arranger le cas Winding Refn (alors, artiste exigeant, incompris peut-être, ou baudruche hype prétentieuse ? On ne sait toujours pas…).
Abandonnant l’Amérique et ses mythes, L.A. et ses démons, Winding Refn revient sur ses terres natales, presque vingt ans après la trilogie Pusher. Mais ici comme ailleurs, le monde selon Winding Refn ne change pas, toujours plein de proxénètes, de gangs, de violences, de tueurs louches (Andreas Lykke Jørgensen, saisissant et inquiétant), de femmes avilies et d’innocence perdue. À travers l’odyssée de Miu, jeune femme mystérieuse aux pouvoirs non moins mystérieux (on dit d’elle qu’elle est une sorte de « porte-bonheur »), parcourant un Danemark interlope et énigmatique où chaque rencontre convoque pureté et sortilèges, rédemption et mort, Winding Refn tisse les liens, visibles et invisibles, de ce monde brutal où l’humain n’est qu’une chose faillible à peine conscient de sa réalité (et où cohabiteraient d’autres entités aux desseins obscurs).
Winding Refn et sa scénariste Sara Isabella Jønsson nous laissent le champ libre afin d’envisager nos propres interprétations, de projeter nos propres impressions en fonction de la chorégraphie intime des plans et les nombreuses perspectives narratives offertes. Rien n’est vrai, tout est permis, dit l’adage. Mais il y a danger, bien sûr. Danger qu’avec un récit s’ouvrant constamment sur des béances, on finisse par se lasser de ce rébus grouillant d’allégories et de secrets (Too old to die young était, elle, davantage « accessible »). Par ne plus vouloir faire l’effort de l’appréhender, éventuellement le comprendre, et ne plus se contenter, dans un bâillement ou un soupir, d’admirer la belle ouvrage.
Pour peu, évidemment, que l’on goûte aux délires formels et ambiances chics glacées de Winding Refn ; à sa propension à éterniser chaque scène ; à interrompre soudain l’action, ou la retarder, voire l’occulter ; à métamorphoser sans cesse le réel en matière mouvante d’un rêve ou celle, affolante, d’un cauchemar. Visiblement pensée pour une deuxième saison (déjà écrite), le sort de Copenhagen cowboy reste suspendu au bon vouloir de Netflix de laisser Winding Refn, succès ou pas (mais dans ce genre d’entreprise casse-gueule, le succès n’est, de toute façon, clairement pas une variable à prendre en compte), parfaire jusqu’à l’obsession ses frasques esthétiques.