Plus intelligent et pondéré qu’annoncé, les Rascals n’est pas un chef d’œuvre, mais un film pertinent qui nous parle aussi d’aujourd’hui en revenant sur des faits datant de près de 40 ans.
Il y a un souci au départ avec ce message marketing sur l’affiche des Rascals qui nous le vend au « film puissant contre le racisme », alors que Jimmy Laporal-Trésor a fait un travail beaucoup plus intelligent, plus honnête aussi qu’une description manichéenne de la société française déchirée entre une population immigrée forcément victime et de méchants français de souche racistes et votant FN. Et que la réception, voire la lecture de son film va être orientée par cet apriori « vertueux » qui risque de braquer le public, qu’il soit favorable ou au contraire opposé à une vision idéaliste de cette situation.
Les Rascals est en fait la chronique d’un moment très particulier dans l’histoire de Paris (plus que de la France, en fait), lorsqu’en 1984, les skinheads d’obédience néo nazie, soutenus par les théoriciens fachos de la Fac de Droit d’Assas, et bénéficiant de la bienveillance de la police, ont eu pour quelques mois le « contrôle » de certains quartiers de la capitale. Le tout centré sur l’affrontement entre les skins et une bande « multiraciale », comme on dirait aujourd’hui, de « rockers », les Rascals, qui s’imagine une vie « à l’américaine » pour rêver dans le cadre moins romantique de la banlieue parisienne.
Ce que décrit avant tout le film de Jimmy Laporal-Trésor, au-delà des délires nazis d’une petite frange de la jeunesse française, qui n’a d’ailleurs jamais eu de véritable pertinence historique ou politique, c’est, à travers une transition entre violence « traditionnelle » (les bagarres à coup de poing entre bandes rivales) et violence « moderne », où ce sont les armes à feu qui parlent, l’absurdité de la loi du talion, la contre-productivité de la vengeance irréfléchie. A partir du tabassage de deux enfants dans une cité en 1977, sur lequel s’ouvre le film, un enchaînement de circonstances, alimenté certes par le racisme, mais surtout par la bêtise, débouchera sept ans plus tard sur des morts violentes, dont au moins celle d’un « innocent » (que le film nous aura quand même montré capable lui aussi de violence irraisonnée). Le scénario prend alors soin de ne pas idéaliser les immigrés : les Rascals sont clairement des petits voyous prompts à jouer des poings, et leur environnement (familial, en particulier…) va contribuer à les maintenir, malgré les efforts de quelques-uns pour en sortir, dans l’engrenage de la vengeance, ou encore dans une véritable spirale autodestructrice. Ici, pas de généralisation simplificatrice… hormis dans son nécessaire rejet absolu du discours de l’extrême droite. Laporal-Trésor nous offre ainsi un film plus lucide que ce qu’on pouvait attendre. Au moins jusqu’à la dernière scène et au carton final, qui prône au contraire un recours à la violence contre les fascistes, et est aussi inutile que maladroit, caressant la légitime indignation du spectateur dans le sens du poil.
Le problème des Rascals, s’il y en a un, n’est donc pas idéologique, ni même scénaristique, c’est un certain nombre de maladresses formelles, après tout peu surprenantes pour un premier film, surtout d’une telle ambition : des acteurs pas trop convaincants, une tendance à surligner, à « spectaculariser » des scènes fortes qui n’en ont pas besoin, une certaine fascination pour l’imagerie US qui déréalise inutilement le film… Bref, des choses que l’on pourrait critiquer en tant que cinéphiles tâtillons, mais sur lesquelles il vaut mieux passer : car combien de premiers films sortent-ils dans le cinéma français qui ont cette ambition de parler de choses aussi fondamentales pour le société française ? Il vaut mieux remercier et féliciter Jimmy Laporal-Trésor d’apporter un tel film au service du débat tellement essentiel, tellement actuel, de la guerre qui fait de plus en plus rage au sein de la société française, et du spectre du fascisme qui relève de plus en plus sa tête hideuse.
PS : Nous ne sommes pas certains que les musiciens de La Souris Déglinguée apprécient leur association dans le film avec le néo-nazisme, et même si l’on se souvient qu’à leurs débuts leurs concerts attiraient des contingents de skinheads, il nous semble que ce n’était plus le cas en 1984, et que Tai-Luc avait alors été clair sur son engagement politique en faveur des minorités et des exclus de toutes origines…
Eric Debarnot