On attendait beaucoup du traitement d’un drame familial aussi violent que celui de la Ligne, mais la déception est grande, tant le film d’Ursula Meier évite, et dès son ouverture, d’affronter son sujet.
Margaret, la trentaine, a frappé sa mère Christina avec une violence extrême, lui occasionnant une invalidité : elle a partiellement perdue l’ouïe alors qu’elle est pianiste. Margaret, maintenue à distance de la maison familiale par une injonction judiciaire tente de reconstruire une relation avec ses sœurs et avec cette mère difficile… On ne peut pas s’empêcher de penser que le sujet de La Ligne aurait parfaitement convenu à un Pialat, qui aurait su comme toujours trouver le plus beau déséquilibre entre amour et haine, entre violence et détresse. Malheureusement, Ursula Meier n’est pas une discipline de Pialat, et ça se voit. Ça se voit très vite même.
Car la Ligne commence par une erreur impardonnable, difficilement concevable même de la part d’une jeune réalisatrice ambitieuse comme Meier : la chorégraphie morcelée d’une scène de violence extrême entre mère et fille qui ouvre le film a plusieurs effets dramatiques sur ce qui va suivre… En déréalisant ce moment fondateur, Meier réduit à une sorte de farce tout le reste de son film. Elle dédouane à bon compte Margaret, son personnage principal, de l’atrocité de son geste, lui conférant un statut de victime (…du rejet familial et des conséquences judiciaires qui s’ensuivent) bien commode. On ne peut s’empêcher de penser que cette scène fondatrice ratée ressemble à un aveu : en tant que metteuse en scène, Meier n’est-elle pas dépassée par son sujet, incapable de le regarder, et donc de le filmer en face ? Il faudrait peut-être quitter la salle dès la fin de cette ouverture désespérante… mais nous avons eu le tort de rester.
Car il n’y aura pas grand-chose ensuite pour rattraper le coup. L’hystérie féminine est générale, au point que si le film avait été signé par un homme, on aurait hurlé au machisme : la mère est bien sûr insupportable, jouée de manière hilarante par une Valérie Bruni Tedeschi très à l’aise dans son rôle, la plus jeune des filles est une folle de Dieu qu’on a du mal à comprendre, le personnage principal (Stéphanie Blanchoud, qui mise tout sur un mutisme assez peu fécond) est une bagarreuse antipathique et une chanteuse sans talent : la vision de la chanson rock indie ainsi véhiculée est particulièrement triste, et on en veut à Benjamin Biolay de compromettre son talent dans cette caricature. Mais bon, il est vrai que dans la Ligne, les mecs sont aussi méprisables – hormis Biolay, très classe par rapport à tout le reste des personnages -, et que les enfants sont des monstres de cruauté imbécile !
Le film, qui passe par quelques hauts et beaucoup de bas, qui essaie de créer dans la toute dernière ligne droite une sorte de suspense stérile, se boucle sur une scène « ouverte » qui traduit surtout l’impuissance de la réalisatrice devant son sujet, un sujet sans doute trop « gros » (trop personnel ?) pour elle. Il ne nous restera guère comme souvenir de La Ligne que les réjouissantes pitreries de Valérie Bruni Tedeschi. C’est vraiment très peu.
Eric Debarnot