Pas déplaisante, cette adaptation en BD d’un livre éminemment populaire, qui traite de trois destins de femmes entremêlés et ambitionne à nous parler de la sororité. Mais l’absence d’aspérités et la volonté de proposer un récit feelgood et consensuel ne rendent pas la lecture de la Tresse particulièrement mémorable.
Smita est fait partie de la caste des intouchables en Inde. Pour pouvoir donner une chance à sa fille que sa condition prive d’école, elle s’enfuit avec celle-ci dans le sud. Giulia est une jeune Sicilienne qui gère avec son père l’atelier familial de confection de perruques, jusqu’au jour où celui-ci est victime d’un accident grave. Sarah est une brillante avocate d’affaires à Montréal qui fait passer son métier avant sa famille. Mais un problème de santé inattendu va tout remettre en question.
Refuser les règles sociales de l’Inde, passer outre les traditions siciliennes qui limitent l’avenir d’une femme à un bon mariage, ou encore se défaire du miroir aux alouettes de la réussite professionnelle et l’attention nécessité de paraître jeune et en bonne santé pour réussir : trois combats bien différents, mais que vont réunir symboliquement la question de la chevelure, ultime symbole, universel celui-ci, de la féminité.
La Tresse est le premier livre de Laetitia Colombani, datant de 2017, qui a retenu l’attention à sa sortie de par sa manière métaphorique de « tresser » le destin de trois femmes bien différentes, mais luttant chacune à sa manière pour maîtriser leur destin, aussi bien contre les préjugés que contre les coups du sort. Une lecture réputée facile (tout le monde, laudateurs comme détracteurs, semble unanime sur ce point) au point qu’on le conseille aux lycéens, et un sujet malin et dans l’air du temps – la sororité dans un monde globalisé – l’ont transformé en un gros succès de librairie.
Même si l’on peut se demander ce qu’une transcription en BD peut apporter de plus, ou au moins de différent à un roman aussi populaire, il est possible de voir ce qui a attiré la scénariste Lylian et la dessinatrice Algésiras dans cette histoire permettant d’alterner les cadres géographiques, les enjeux psychologiques, sociaux et politiques. Grâce à l’extrême lisibilité d’un dessin moderne – faisant sans doute écho à la simplicité et l’efficacité du roman original – et à la clarté d’un scénario qui privilégie le message par rapport aux péripéties des trois récits tressés, la Tresse gagne une accessibilité supplémentaire pour d’éventuels lecteurs réfractaires à la version « traditionnelle ».
Il reste que l’on regrettera l’absence de réel obstacle sur le trajet des héroïnes, et la conclusion précipitée, qui privilégie les bons sentiments en un triple happy invraisemblable. N’ayant pas lu le livre de Laetitia Colombani, nous ne saurions dire s’il est aussi caricaturalement feelgood, mais il s’agit en tous cas d’une occasion manquée de transformer une histoire par trop lénifiante de manière plus forte, plus mémorable. On déplorera donc de ne pas avoir affaire à une œuvre plus militante et moins gentillette, pour mieux nous parler du monde.
Eric Debarnot