Flop aux Box Office américain ayant également divisé la critique locale, Babylon voudrait à la fois pointer les travers d’Hollywood et célébrer la puissance du 7ᵉ Art. Il est cependant rattrapé par quelques maladresses et un rythme d’ensemble bancal.
Babylon, c’est peut-être un clin d’œil à Hollywood Babylone, livre culte de Kenneth Anger bourré des ragots sur l’usine à rêves. C’est d’abord un titre à double entrée : renvoi au mythique décor reproduisant Babylone du classique muet Intolérance et référence au symbole de décadence qu’était la Cité dans La Bible. On pourrait parler de titre-programme qui annoncerait le caractère bicéphale du film, à la fois satire du Hollywood des années 1920 à l’aube du parlant et célébration de l’art cinématographique. Et l’on verra d’ailleurs certains interprètes (Pitt, Robbie) alterner ici le sérieux, le registre de la farce.
Le début semble plutôt pencher du côté de la satire. D’un côté, un Latino rêvant de faire sa place dans l’usine à rêves se retrouvant au sens propre dans la merde (métaphore pas finaude). Et de l’autre, une fête faisant dire que rayon débauche le Hollywood de l’époque pouvait en remontrer à ce que certaines biographies racontent sur le train de vie de quelques rock stars seventies. Une fête introduisant notamment deux figures importantes du film : la star du muet dont le couple bat de l’aile Jack Conrad (Brad Pitt) et l’aspirante star tapant l’incruste avec succès Nellie LaRoy (Margot Robbie), aspirante se retrouvant parachutée sur les plateaux par un simple concours de circonstances. Jack semble vaguement conscient qu’une époque touche à sa fin tandis que Nellie semble vouée dès le départ à rejoindre la longue liste des destins brisés par l’usine à rêves. Usine à rêves impitoyable avec ses stars une fois une évolution technologique ou un changement d’époque survenus. Jack va tenter de continuer à vivoter, inconscient que le passage au parlant le met sur la touche. Sex symbol des années 1920, Nellie subira à la fois la difficulté à négocier le virage du parlant et le virage prude d’une société américaine offusquée par les Vamps. Chez Chazelle la seule solution pour s’en sortir est de quitter Hollywood, volontairement ou sous la contrainte.
A côté de cela, le film offre quelques dialogues célébrant la puissance du cinéma avec autant d’ardeur que ceux d’un Inglourious Basterds. Face à sa nouvelle épouse issue du théâtre, Jack va ainsi défendre le statut d’art majeur du 7ᵉ Art. Ce qui rappellera aux « gainsbourgophiles » les plus passionnés que l’Homme à tête de chou affirmait avoir abandonné un art majeur (la peinture) pour un art (selon lui) mineur (la chanson). La célébration du cinéma se manifeste aussi dans les scènes de tournage révélant, au prix d’une part de comédie, les efforts et la logistique nécessaires à accoucher d’une très courte scène de cinéma. Hollywood est ici un Far West… mais un Far West offrant des opportunités ponctuelles aux minorités : le Latino Manny Torres qui finit par gravir quelques échelons, la lesbienne d’origine asiatique Lady Fay Zhu travaillant aux intertitres de films muets, le trompettiste noir Sidney Palmer bénéficiant de la mode du jazz. Quand bien même la porte peut parfois cruellement se refermer en fonction des compromis acceptés ou pas.
A ce propos, certains critiques anglo-saxons ont parlé d’hypocrisie concernant un épilogue ravivant le souvenir des expériences douloureuses d’Hollywood ici décrites… tout en montrant ce souvenir s’estomper devant la puissance d’émerveillement du cinéma. Il est vrai que cela pourrait être mis en parallèle avec le côté « la fin justifie les moyens » de l’apprentissage du musicien de jazz dans Whiplash du même Damien Chazelle. Je préfère y voir le reflet d’un Chazelle cinéphile conscient de ce qu’était l’arrière-boutique d’une grande période artistique tout en ne pouvant renier son adoration pour les nombreux grands films de la période. Et plutôt attaquer cet épilogue pour son long clip surdécoupé d’hommage au 7ᵉ Art qui aurait plus eu sa place lors d’une cérémonie d’ouverture cannoise que dans le film.
Le film s’est également vu reprocher à domicile son scénario choral partant dans tous les sens. Déjà, on a vu au cinéma narrativement plus embrouillé (le montage d’époque des Cendres du Temps par exemple). Et les quelques digressions à base de serpents ou d’alligators ont un certain charme. De plus, la virtuosité clinquante de La La Land n’est pas si présente ici. Et le travail de documentation sur la période est ici autant visible dans le scénario que dans le travail minutieux de reconstitution d’époque des décors. Rare exemple de vrai travail de composition originale dans le cinéma hollywoodien récent, le score de Justin Hurwitz panache jazz, fanfare et classique. Qu’est-ce qui laisse alors une impression mitigée concernant le film ? Son montage. Rayon rythme, chaque séquence fonctionne bien séparément. Comme par exemple l’usage du montage alterné pour raconter les difficultés logistiques d’un tournage. Ou le découpage plus lent d’une séquence racontant peu de temps après les désillusions des personnages. Certains défenseurs du film pourront voir dans son yoyo rythmique le reflet d’un univers dans lequel la poudre blanche est très présente. Sauf qu’à plus de trois heures de durée, ces ruptures rythmiques produisent un effet d’ensemble bancal, empêchant le film d’égaler la réussite d’un First Man, meilleur Damien Chazelle à ce jour.
Ordell Robbie.