Par l’un des jeunes maîtres de la Science-fiction moderne, l’Ile de Silicium est une plongée stimulante dans un futur pas si différent de notre présent, où progresse la pollution, l’exploitation de l’humanité la plus faible, et… l’hybridation entre l’homme, la machine et l’IA. Prophétique ?
Dans un futur relativement proche, où la technologie a continué à se développer à un rythme exponentiel, la pollution créée par les composants électroniques a généré une économie lucrative de recyclage, en particulier en Chine, où une île entière, rebaptisée l’Ile de Silicium, est dédiée à cette fonction. Mais comme le monde de demain est en gros le monde d’aujourd’hui en pire, ce nouveau business est basé sur l’exploitation outrancière d’une main d’œuvre misérable amenée des régions les plus pauvres de la Chine, et est contrôlé par des triades qui se livrent une guerre permanente. Quand une grosse multinationale US vient essayer de placer ses pions et de s’approprier ce gâteau appétissant, en utilisant comme cheval de Troie la législation mondiale en terme de protection de l’environnement, l’équilibre maintenu à grand peine entre les familles dominantes de l’île, mais aussi entre la population raciste et les ouvriers exploités, va se rompre. Au centre de l’échiquier, une jeune femme, Xiaomi, contaminée par un virus mystérieux, va se transformer en une entité indéfinissable : serait-elle le futur de l’humanité, le mariage entre organique et électronique ?
L’Ile de Silicium nous est présenté comme un écho-techno-thriller, ce qu’il est, mais s’avère surtout un livre de SF ambitieux, terrifiant et terriblement pessimiste, qui construit tout un univers cohérent sur des extrapolations crédibles de la technologie actuelle, et sur une analyse pertinente des modèles politiques et économiques contemporains. Chen Qiufan est l’un des auteurs de SF moderne les plus reconnus de nos jours, et semble avoir toujours été intéressé par les promesses (les menaces ?) d’hybridation entre humains et machines (et l’Intelligence Artificielle, bien entendu…). Il a aussi gagné sa renommée grâce à la qualité de son style littéraire (tout au moins pour peu qu’on puisse en juger à la lecture d’une traduction française tout à fait magnifique, mais la biographie de l’auteur nous apprend qu’il a fait des études de littérature et de Beaux-Arts), et au fait que, au-delà des qualités prophétiques de sa vision du devenir de l’humanité et de la société, il sait rendre ses récits empathiques en se concentrant sur l’impact psychologique des mutations sur ses personnages.
L’Ile de Silicium est donc l’un de ces livres multi-facettes, extrêmement complexes il faut le reconnaître, où alternent des digressions scientifiques (parfaitement crédibles), des considérations socio-politiques (passionnantes) et des scènes plus classiques de thriller psychologique. Suivant ses propres centres d’intérêt, le lecteur goûtera donc plus certains aspects du livre que d’autres, c’est à la fois la grande force du livre de Chen Qiufan et sa principale faiblesse !
Même s’il n’est pas court (450 pages environ), le livre se referme sur une impression de frustration, de promesse non complètement tenue par rapport aux défis posés d’emblée aussi bien par la fiction policière et psychologique que par la peinture sociale et les projections des théories scientifiques.
Ce n’est pas si grave : on ne peut pas dire qu’on s’est ennuyé un instant à la lecture de l’Ile de Silicium, mais on doit avouer qu’on en a même fait des cauchemars, et qu’on a maintenant très envie de découvrir les autres ouvrages de ce nouveau maître du genre.
Eric Debarnot