Thriller habile, emmené au fil des 8 épisodes de cette minisérie, Klangor arpente l’univers balisé du meurtre dont l’assassin est présumé assez tôt pour développer une enquête bien écrite. Un polar où chaque épisode conforte ou infirme les déductions du spectateur détective.
Klangor, produite par les bureaux de Canal+ en Pologne est réalisée par Kacper Wysocki. La trame narrative de l’histoire, découpée en 8 volets, est assez usuelle du polar noir. Elle est pourtant quasi impossible à évoquer sans spoiler. Si tu ne veux rien savoir du tout du thème de la série, passe le prochain paragraphe.
Rafal Wejman est psychologue carcéral dans une prison polonaise sise dans une petite ville la côte de la Baltique où tout le monde semble se connaître, au moins de vue. Quand l’épisode 1 s’ouvre, on le découvre écoutant impassible le détenu Emil Knapik demander, en proie à une bouffée délirante qui le submerge, qu’on le change de cellule parce que ses deux codétenus le perturbent. Le tout alors que Wejman s’apprête à aller retrouver sa femme loin de la ville. Emil Knapik revenu peu après en cellule est retrouvé dans la soirée, agonisant dans un bain de sang sur le sol à côté de son lit. Amené à l’hôpital, un des détenus survivants de cet épisode tente l’évasion de la chambre où il est soigné. Le lendemain matin, un adolescent est retrouvé mort, tandis que la fille de Rafal a disparu. Wejman est persuadé que le crime et la disparition sont liés à l’évasion du prisonnier. Il va tout mettre en œuvre pour retrouver sa fille. Et petit à petit, au fil de sa recherche, tenter de démêler les ressorts des évènements qu’il pressent liés.
L’air de rien, avec une histoire pas forcément la plus originale qu’il m’ait été donné de pitcher, Klangor se révèle un polar très décent, qui mérité qu’on y consacre huit heure d’existence. Parce qu’il y a de vraies réussites dans cette série.
Le dépaysement est sans doute un des premiers points à relever pour le spectateur francophone. La côte balte sert à la fois de décor et de semi huis clos dans une série qui joue de l’unité de lieu. L’essentiel de l’action se déroule dans quelques pôles de la ville et entre des personnages qui partagent la prison comme lieu de vie ou comme ressource professionnelle. Le parti pris visuel consiste à accentuer le côté vétuste, gris, boueux de ce coin de la côte. On serait dans un Zola, que le décor aurait sans doute cette teinte sale, triste, décrépie également. Pourtant, on ne peut s’empêcher de trouver aux falaises, aux marais et à la ville côtière d’où émergent les datchas vieillissantes des notables un certain charme pictural. Si le The Affair de Sarah Treem et Hagai Levi ne pouvait se dérouler que dans les Hamptons qui jouent un vrai rôle sur la psychologie des personnages, si True Detective utilise la Nouvelle-Orléans comme un acteur de plus au casting, il semble que le décor de Klangor témoin d’une heure de gloire perdue pour la Pologne imprègne chacun des protagonistes. Tout semble se dérouler dans une ambiance de demi misère, de déceptions personnelles ressassées et de rêve-petit. La langue polonaise et ses consonances germaniques parfait cette toile de fond âpre et rugueuse. Les plans d’ensemble sont choisis avec soin, jouant de la dichotomie des espaces naturels élégants et du petit monde qui l’est beaucoup moins.
Le jeu d’acteurs est aussi un des grands atouts de cette mini-série qui aborde des thèmes très lourds de sens pour les personnages : la déliquescence morale, celle du couple, la brutalité, l’autorité qui fait office de démonstration de virilité, le besoin d’argent, la drogue pour s’oublier… Mal joué, on tomberait rapidement dans la caricature. Mais. Arkadiusz Jakubik (Rafal Wejman) acteur de 53 ans inconnu du public français, impose une puissance dramatique à son personnage de parent qui refuse de croire que sa fille a disparu. Elle est telle qu’elle entraîne tout le casting dans son sillage. Avec une économie de mots qui rend indispensable la justesse du jeu du corps et du rendu des émotions, tout le casting du film rend l’ensemble intense et crédible. On souffre avec eux, avec un réalisme sans esbroufe et très fin dans les nuances. Katarzyna Galazka est bluffante en Hania Wejman, Maja Ostaszewska mère un peu éloignée par son travail est insondable…. Tout le casting arrive à rendre leurs personnages profondément humains même au bout de la souffrance, du doute ou du vice.
Enfin pour compléter les mécanismes de ce qui est une très bonne surprise télévisuelle que je découvre presque par hasard près de deux ans après sa sortie polonaise, il faut pointer l’excellent découpage du scénario. Le fil rouge des huit épisodes est la quête quasi instinctive de Rafal Wejman pour retrouver sa fille disparue et en parallèle comprendre les mécanismes du suspect désigné, pour mieux le confondre.
Dans cette linéarité d’histoire, le scénario propose des fourches faites de flashbacks ou de remémorations au commissariat qui mènent le spectateur à se demander “mais pourquoi untel dit qu’il a pas vu machin alors que dans la scène en flashback j’ai cru le voir passer à l’image” ou à se mettre à élaborer des scénarios improbables. Pourquoi il lui dit “tiens le coup”, ca va c’est pas fou ce qu’il lui à demander de planquer. Hé mais au fond et si….. Tout au long des huit épisodes je me suis laissé aller à élaborer des scénarios : “attend mais pourquoi il se lève et s’en va en plein milieu de tel événement, ça tient pas, pourquoi il fait ça….” dont certains ont été confirmés et d’autres lamentablement infirmés. La découpe est tellement bien faite qu’on ne sait réellement qu’une fois le générique du dernier épisode achevé, quel est le destin réel de chaque protagoniste entre la scène d’ouverture et le moment où on les quitte pour la dernière fois.
Très bonne surprise des équipes polonaises de Canal+ disponible sur la chaîne thématique dédiée au polar de la plateforme Mycanal, Klangor mérite mieux que son apparent rôle de remplissage de la case drame et thriller du pass ciné série de la chaîne cinéma. Se binge un peu frénétiquement certes, mais se révèle un très bon moment de télé. Ne pas hésiter face à l’affiche étrange qu’on dirait extraite d’un film de guerre du désert ou de science-fiction. Le tout n’a rien n’à voir avec la SF.
Denis Verloes