Célébré dans les festivals, sélectionné pour les Oscars, mais bénéficiant d’une sortie très confidentielle en France, le superbe Nos Soleils mérite que tous ceux qui aiment le cinéma quand il parle de la vie, quand il parle « vrai », aillent le voir.
Une famille d’agriculteurs en Catalogne se voit forcée d’abandonner les terres sur lesquelles elle cultive des fruits – principalement des pêches – du fait d’absence de documents de propriété officiels. Les arbres fruitiers seront remplacés par un parc de panneaux solaires, dont le père refuse la gestion que l’on veut lui confier. Pendant ce temps, les jeunes enfants de la famille jouent dans la nature et les adolescents ont les désirs et les frustrations typiques de leur âge.
C’est tout ? Oui, c’est tout. Pas de suspense jusqu’au dernier plan, inévitable qui nous brise pourtant le cœur, pas de drame spectaculaire, juste des colères, des brouilles, des réconciliations, des fêtes, des moments de bonheur aussi, d’autant plus précieux que l’on sait que tout changera, tout cela est appelé à disparaître.
Cette vie que l’on contemple, à travers les regards de chacun des membres de la famille, mais particulièrement des enfants, cette vie que l’on partage pendant 2 heures avec eux, est dure – on se casse littéralement le dos à cueillir les fruits, surtout quand on ne peut même plus payer les travailleurs africains migrants qui attendent qu’on les embauche. Dure, mais belle, vraie : la modernité est là, les chorégraphies des ados copiées sur Tik Tok, la techno pour les plus vieux, et bien entendu, ces fichus panneaux solaires qu’on arrache dans un geste de colère de la grange, mais qu’on remet parce qu’il faut bien l’éclairer, cette grange, quand même. Et la modernité, c’est aussi les prix de vente des fruits qui s’effondrent sous la pression de la grande distribution, et les manifestations inutiles mais qui permettent de crier sa colère.
Nos Soleils est un film que Carla Simón a réalisé en hommage à sa propre enfance au milieu des pêchers. D’ailleurs son titre original est Alcarràs, le nom d’un village proche de Lerida, parce qu’il est fermement ancré dans la terre catalane. C’est un film magnifique parce qu’il n’essaie jamais de nous montrer de belles images d’une Catalogne qui pourrait sembler idyllique sous le soleil… Si on avait seulement le temps de la regarder quand on travaille aussi dur.
https://youtu.be/HpGZZ83bxpE
Nos Soleils parle du travail, du vrai, qui disparaît, et donc du crépuscule d’une époque qui a été la nôtre. Et aussi de la famille traditionnelle qui vacille, comme vacille et s’attriste le grand-père qui voit bien qu’il n’y a plus moyen de transmettre quoi que ce soit, maintenant qu’on ne possède plus rien et que nos souvenirs n’intéressent plus personne.
Nos Soleils n’est pas un film militant, pas un film politique, ni un film psychologique. Il ne donne aucune leçon, ne conduit aucune réflexion. Il montre, et nous offre ce faisant une douce intimité avec des êtres humains qui ne sont jamais des « personnages », et encore moins des protagonistes d’une fiction qui serait leur vie, mais qui sont simplement nos frères et sœurs d’humanité.
En regardant Nos Soleils, en nous laissant emporter par le flux des jours qui passent, on peut quand même se demander si ce n’est pas ça, exactement ça, le Cinéma. Et si Carla Simón ne serait pas déjà, à son second film, une grande, une très grande cinéaste ?
Eric Debarnot