Christophe Bourseiller, Pic de La Mirandole de la contre-culture du XXᵉ, nous décrit la vie mouvementée d’Alexander Trocchi. Il nous fait découvrir dans Dossier Trocchi ce proche de Debord et toute l’aristocratie intellectuelle déjantée du XXᵉ : captivant !
Irwine Welsh, auteur de Trainspotting, définit Alexander Trocchi comme le « Camus écossais » …mais précisons sans le Nobel, seulement 2 livres notoires au compteur et plus de 40 romans pornographiques…Leonard Cohen lui c’est plutôt à « un christ contemporain » qu’il le compare, pour Allen Ginsberg : « C’est l’homme le plus brillant que j’aie jamais rencontré, un autre Neil Cassidy » quant à Patti Smith, après sa lecture du Livre de Caïn…et de tous ses romans salaces de conclure : « Trocchi est un artiste, comme Bryon Gysin. Son travail n’est pas pour tout le monde, il ne doit pas être pour tout le monde. ». Christophe Bourseiller dans Dossier Trocchi, récit qui se lit d’une traite, nous raconte le parcours chaotique de ce situationniste qui n’aurait pas volé sa place dans un livre de Kerouac ou dans un titre du Velvet Underground.
Christophe Bourseiller est cet historien hors-pair des « courants minoritaires » bref de tout ce qui est à la marge, il l’a démontré dans une quarantaine d’ouvrages et je ne peux que vous conseiller l’écoute de sa chronique dans la matinale du week-end de France-Inter. Il a le chic pour vous amener dans des contrées intellectuelles dont vous étiez loin d’imaginer l’existence…tout cela avec érudition, humour et sans condescendance.
Dans Dossier Trocchi, au-delà de s’intéresser à la biographie du susnommé, Bourseiller nous rafraichit la mémoire sur ce qu’était le situationnisme et la figure contestée de Guy Debord. En 1957 est crée l’Internationale situationniste qui se définit pour tout un chacun par : « Il s’agit de transmuer sa propre vie en une œuvre artistique. Les situationnistes sont des aventuriers du quotidien. » ou encore « vivre sans temps mort et jouir sans entraves » avec en corollaire et pour seul horizon : « Se brûler les ailes, s’autodétruire, refuser de faire œuvre ? Ne laisser derrière soi qu’un désert de cendres et en célébrer la beauté ? ». Comme relaté dans ce livre, Alexander Trocchi s’efforcera de suivre à la lettre cette doxa. Le mouvement punk, comme l’a souligné Greil Marcus dans Lipstick Traces, a été rapproché de Guy Debord qui s’était lui-même inspiré du mouvement Dada ou des surréalistes. L’auteur tient à réévaluer l’aura du situationniste en chef à la suite de l’organisation en 2013 à la BNF d’une exposition officielle : « Ainsi, Guy Debord a obtenu la gloire, tout en perdant son combat contre le spectacle, il a prétendu affronter la domination spectaculaire, mais le spectacle lui a érigé une statue. ».
Revenons sur ce qui fait l’intérêt majeur du livre : les pérégrinations et les rencontres d’Alexandre Trocchi. Feuilletons avec lui le bottin mondain de la gente intellectuelle déglinguée des années 50 à 80…Né en 1925 en Ecosse, son premier fait de gloire alors qu’il est envoyé au Canada en stage de pilotage pendant la 2nde guerre mondiale est : « Opérant une performance artistique avant l’heure, il dévide depuis le ciel un rouleau de papier toilette, en une forme de bombardement symbolique. Cet accomplissement artistique n’est pas du gout des généraux canadiens. » C’était pourtant un bon début !
Tout a vraiment commencé en 1950 à Paris où il atterrit…comme l’écrit Bourseiller : « Paris n’est pas une ville anodine » à cette date, dans ce creuset Trocchi qui de son aveu « cultive une quintuple addiction pour « l’alcool, l’opium, le pouvoir, les femmes et les cigarettes » participe, entre autres, à la création de Merlin une revue littéraire qui aura comme contributeurs Beckett, Sartre, Éluard, Ionesco, Miller, Genet, Malaparte, j’en passe. Fil rouge de sa vie « Trocchi ne tient pas en place. ». Tout au long du livre nous le suivrons ainsi entre l’Europe, New-York, la Californie (où il fréquente Kerouac et Jim Morrison)…toujours en quête d’argent, d’héroïne, de rabibochage avec ses ex compagnes mais jamais lâché par ses amis dont Eric Clapton. Il me serait difficile de taire l’épisode suivant : alors que Trocchi est poursuivi, en 1960, par la police américaine pour avoir vendu de la drogue à une mineur, il s’enfuit via les chutes du Niagara pour échouer à Montréal où « il est réceptionné par un jeune poète canadien. Ce bon ange s’appelle Leonard Cohen. Il est encore parfaitement inconnu. A peine Alexander a-t-il déposé son maigre bagage qu’il se pique sous les yeux d’un Leonard Cohen médusé. » Il ouvrira évidemment au jeune poète le champ des possibles… Tout le livre est à l’avenant, le passage sur Marianne Faithfull n’est pas – piqué – des vers non plus mais je vous laisse le découvrir.
Plus qu’une série d’anecdotes piquantes dans des milieux intellectuels interlopes, Christophe Bourseiller dans Dossier Trocchi nous ramène à une époque, non sans nostalgie, où la culture jouait un rôle essentiel dans la société via les revues, les expositions, les courants d’idée tout en sachant rester libre et scandaleuse grâce à l’attitude de ses principaux acteurs qui a l’image d’Alexander Trocchi « voulait faire de sa vie une œuvre d’art. ». Recommandé !
Éric ATTIC