Remarqué et primé en festival, nominé aux Oscars pour son acteur principal, Aftersun est un premier film réussissant, malgré quelques maladresses, à faire partager le souvenir d’un être cher.
Encensé à sa présentation à la Semaine de la Critique, pensionnaire régulier des bilans critiques 2022 anglo-saxons, primé à Deauville par le jury présidé par Desplechin, produit par Barry Jenkins, Aftersun est un premier film américano-britannique arpentant un terrain mille fois fréquenté par le cinéma d’auteur européen depuis les années 1960 : le souvenir. Il se rattache également à un thème qui traversait fortement le cinéma d’auteur du début des années 2000 : la difficulté d’être en paix avec les morts.
Les vacances dans un hôtel club en Turquie de Calum (Paul Mescal, révélé par la série Normal People) et de sa fille Sophie (Frankie Coro) se déroulent vers la fin des années 1990 ou le début des années 2000. Le séjour est en effet « daté » par la musique écoutée ou chantée par les personnages : les animations à base de Macarena, Tender de Blur, Never Ever des All Saints, la gamine foirant le karaoké de Losing my religion. Tandis qu’un passage au présent montrera Sophie ayant grandi, devenue mère de famille et peut être inquiète de ses responsabilités. Les scènes de rave ressemblent elles à un rêve et / ou un reflet de l’état émotionnel de Sophie. On y découvre au fur et à mesure du film Sophie adulte dansant aux côtés de son père n’ayant pas vieilli ; une forme d’impuissance se lit alors dans le regard de Sophie. Symbolisme léger comme un tank : Sophie se débat avec le fantôme paternel.
Le meilleur du film se situe justement dans son montage elliptique. Un montage focalisé sur des moments creux, cherchant à capter les émotions éphémères de ces vacances, à faire surgir une tristesse dissimulée derrière l’apparente insouciance de cet été. L’attitude d’adolescent attardé du père évoque une crise de la trentaine ; les envies du père et de la fille ne sont pas toujours synchrones et le bain de minuit solitaire du père sent le désir d’échapper à son existence. Filmé en plan large, ce dernier fait craindre que les vagues emportent le père. Le tout emballé dans la tristesse diffuse des cordes du score d’Oliver Coates. Le film laisse deviner que le père est mort, qu’il s’est probablement suicidé, que ces vacances étaient leur dernière entrevue. Et que Sophie tente de comprendre le désespoir de son père. Un désespoir qu’elle n’avait peut être pas perçu car elle était dans ce que le cinéma américain nomme le coming of age.
Mais tout se fait en partie au prix de scories s’ajoutant à la lourdeur des scènes de rave mentionnées. Les plans de personnages au travers d’une vitre et des plans sur leurs reflets surlignent qu’il se passe des choses au-delà de que nous voyons. Liens trop évidents entre passé et présent, les vidéos de vacances filmées en caméra digitale intégrées au récit alourdissent la structure narrative du film.
Film d’une Ecossaise installée aux Etats-Unis, Aftersun doit beaucoup au film d’une autre cinéaste écossaise: Blue Black Permanent (1992), seul long métrage réalisé à l’âge de 74 ans par la poétesse et cinéaste Margaret Tait. Il était question d’une femme toujours pas en paix avec le souvenir de sa mère défunte et cherchant via ses souvenirs d’enfance à percer le mystère de la disparition d’une femme libre, excentrique, en apparence pleine de vitalité. Le travail sur la photographie relie les deux films, de même que le caractère moins convaincant des passages au présent. Mais la route vers l’émotion était moins tortueuse, plus directe chez Tait. Aftersun est malgré tout un premier film valant pour quelques beaux moments de cinéma… et pour son casting: le naturel de Frankie Corio, le talent de Paul Mescal pour refléter le mélange de joie vacancière et de déprime de Calum.
Ordell Robbie
Aftersun
Film américano-britannique réalisé par Charlotte Wells
Avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall…
Genre : Drame
Durée : 1h42min
Date de sortie : 1er février 2023