Avec leur premier album, les Bordelais de Cosmopaark découvrent leur propre facette du kaléidoscope d’un genre que l’on pense parfois figé. Un disque qui propose un nouveau départ pour le shoegaze français, entre complaisance et affranchissement des codes.
Le shoegaze n’est pas en mal de bras pour porter son étendard. Moins plébiscité que le post-punk, il ne manque pour autant pas de pieds prêts à salir de la pédale plus ou moins grossièrement. L’enjeu demeure de se démarquer des pastiches de My Bloody Valentine, Lush ou Slowdive pour être un peu plus qu’une pâle copie. Exister, en somme, parmi le vivier des adeptes de compositions éthérées et planantes et de passions tristes.
Gardons-nous toutefois d’apparaître défaitistes face au flot de groupes de shoegaze qui émergent aujourd’hui, car il y a du bon voire du très bon, et particulièrement du côté du shoegaze made in France . C’est à Bordeaux que l’on vient pêcher ce nouveau cru de génies du pedalboard, avec Cosmopaark et son premier album and I can’t breathe enough, qui pourrait bien passer entre les mailles du filet des simulacres de nos anciens. Après Sunflower, un premier EP franchement réussi, et un autre collaboratif avec SIZ, ne restait qu’à franchir l’étape du premier long format pour lancer Cosmopaark au devant d’une scène stimulante et en pleine reconfiguration.
Concrete Plans livre et Haunted House laissent entrevoir le potentiel de l’album aec une formule classique mais efficace et maîtrisée, entre section rythmique généreuse, voix vaporeuse et guitares distordues. Suffocating coche la case du voyage planant, mais ne sonne pas nouveau, et nos oreilles s’épuisent un peu sur les deux morceaux suivants, un peu trop contraints par la signature évidente du groupe, là où l’on attend qu’elle éclate en puissance. En somme, la première moitié du disque se déroule sans surprise, c’est aérien et noisy à la fois, efficace mais pas rassasiant. Le groupe nous montre qu’il maîtrise ses outils, mais ne dévoile pas encore le potentiel qu’il a sous le pied.
C’est avec Can’t Wait que le groupe vient chatouiller finalement contenter l’oreille en peine. Là, on (re)découvre le caractère des trois bordelais qui côtoient les profondeurs, celles d’une bruyante innocence, et on savoure d’autant plus la transition avec Big Boy qui nous rappelle l’ingénuité signature de la voix de Clément (guitare et voix), sur Mr. BigYellowSun. Si l’on ne peut éviter un parallèle avec le shoegaze des 90s à ses belles heures, on accorde volontiers à Cosmopaark un beau traitement de cette recette familière, avec une production maturée et réfléchie qui donne un coup de frais à ces saveurs familières. La mélodie terriblement attractive de Backseat poursuit cette délicieuse ascension, installe un climat doucereux, nous laissant à loisir le temps de nous adonner à la sombre transe qu’elle dessine avant de redescendre. Le cœur encore en apesanteur sur Not Fixed, se déporte finalement sur Try, belle conclusion à grands renforts de guitares abrasives qui ne se taisent qu’à l’injonction malheureuse du silence sur ce dernier titre.
And I can’t breathe enough n’est pas révolutionnaire, mais marque là une propension certaine à l’expérimentation qui, bien qu’elle ne soit que partiellement exploitée ici, laisse à croire que Cosmopaark n’a pas encore tout dit. Les bordelais démontrent là qu’ils ont de la réserve, et la suite s’annonce prometteuse.
Marion des Forts