Magnifique concert d’Alela Diane hier soir au Trianon : entre son chant peut-être encore plus beau qu’autrefois et un backing band subtil, il n’y a avait rien à redire à une heure et demie qui a frôlé le sublime.
On était en 2007, le folk (ou la folk, comme on dit désormais) ronronnait un peu, et on était loin d’imaginer que le genre tout entier allait renaître avec autant de vigueur quelques années plus tard, et devenir le refuge de tant de jeunes talents. Bref, Alela Diane est arrivée avec fracas au milieu de tout ça, et a balancé sa grenade à fragmentation, The Pirate’s Gospel, qu’elle avait eu pourtant du mal à faire connaître. Et les plus féroces d’entre nous en ont célébré la splendeur, en ont chéri la haute teneur émotionnelle. Sur scène, Alela, entourée d’une troupe d’amis et de familiers, ne payait pas vraiment de mine, mais mon dieu, quelle voix ! On connaît plein de vieux punks qui ont craqué pour elle et se sont remis à la guitare sèche (comme on ne disait déjà plus depuis longtemps).
15 ans ont passé et Alela s’est assouplie, elle a arrondi son style, et, si sa vie amoureuse et personnelle est loin d’avoir été un jardin de roses, une nouvelle maternité a rempli sa musique d’autres préoccupations, de plus de douceur peut-être. De conformisme disent ceux qui méprisent la maturité et ont depuis changé de crémerie et d’égérie. Peut-être que tous ses albums n’ont pas été aussi mémorables, c’est vrai, mais Cusp, son avant-dernier, en particulier, faisait encore bien mal par là où il passait. Enfin, mal et bien à la fois.
Pas question donc de louper ce passage au Trianon d’une artiste toujours importante, même si plus autant « dans le buzz »…
20h : The Hackles sont un trio de l’Oregon, a priori l’état où vit désormais Alela. Originellement un duo, qui a changé de format récemment avec l’ajout d’une violoniste et troisième voix, The Hackles jouent un folk très roots, très traditionnel, mais heureusement porté par des voix remarquables. On appréciera donc particulièrement un morceau a capella, The Werewolf, mais l’ensemble du set de 30 minutes est de bonne tenue, basé sur un banjo, un violon et une guitare. Les textes parlent de tous ces trucs bizarres qui se passent dans des coins aussi reculés que l’Oregon, comme cette histoire d’un type qui a tué un cerf en pleine rue et qui a commencé à tranquillement le dépecer jusqu’à ce que la police lui demande d’arrêter… Cela manque pourtant parfois un peu de caractère, ou tout au moins de surprise, mais c’est très doux et très beau. D’ailleurs les trois musiciens nous expliquent qu’ils accompagneront Alela ensuite, ce qui va s’avérer une excellente idée.
21h : Quand Alela Diane pénètre sur scène, vêtue de manière quasiment paysanne, force est de reconnaître que le temps a été clément avec elle, et on ne voit guère de différences physiques avec la jeune femme de 25 ans, timide et gracieuse, qui avait illuminé une soirée du Festival des Inrocks en novembre 2008. Par contre, impossible de ne pas remarquer à quel point sa voix est magnifique, a gagné de la force, de l’amplitude, sans doute grâce à une plus grande maîtrise technique. Dès l’introduction sur le classique Dry Grass & Shadows, le pari est gagné, une sorte de magie se répand dans le Trianon, qui ne se dissipera pas durant l’heure et demie de set qui suivra… Silence intégral dans la salle pourtant quasiment pleine, même d’ailleurs pendant qu’Alela accordera sa guitare (ce qu’elle fait très souvent), au point qu’elle se sentira obligée de demander : « Quelqu’un connaît une blague ? ».
Alela enchaîne d’emblée huit chansons de son nouvel album, Looking Glass, ce qui n’est pas typiquement la meilleure manière de captiver un public qui ne le connaît pas forcément (même si, autour de nous, on voit nombre de personnes qui, les yeux clos, chantent pour eux-mêmes les textes des chansons). Mais Alela peut tout se permettre ce soir, rien ne viendra rompre le charme, même quand, vers la fin, un compatriote éméché viendra faire un peu de raffut. Il faut souligner combien le travail effectué par The Hackles derrière Alela frôle la perfection, tant dans la délicatesse des vocaux que la pertinence des orchestrations, avec une mention particulière à la clarinette de Kati, qui ajoute un lyrisme subtil là où il le faut.
Bref intermède solo, avec un The Rifle qui soulève, évidemment des acclamations, et un morceau « à la demande ». Logiquement, ce sera son plus grand fan français, Gilles, qu’Alela a repéré (« pour son trente-neuvième concert », dit-elle), qui placera sa requête : un magnifique Tatted Lace.
The Hackles reviennent pour une dernière partie du set qui repart progressivement en arrière dans le temps, à partir d’une version emportée de Émigré, le « tube » de Cusp, jusqu’à l’incontournable The Pirate’s Gospel, que, comme toujours quand on l’entend, on rêve de voir un jour interprété à la manière (d’antan) des Pogues.
Mais le plus beau reste à venir : un rappel de deux titres, une version pétrifiante de Oh! Mama, qui mériterait presque que la soirée s’arrête là, mais non, il y a encore la sublime Ether & Wood, pour nous la meilleure chanson qu’Alela ait jamais écrite, d’une beauté et d’une tristesse sublimes. « Ashes, Ashes… ». Oui, sublime, c’est le seul mot qui vienne à l’esprit à la fin de cette heure et demie parfaite.
PS : On a eu de la chance ce soir, Alela nous annonce que c’était sa dernière soirée avec The Hackles et qu’elle terminera sa tournée en solo, rejointe quand même parfois par son amie Mariee Sioux…
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
[Interview] Alela Diane : “Des chansons qui proviennent d’une véritable nécessité…”