Le premier roman, a priori largement autobiographique, de Thomas Fersen s’apparente à une riche collection de chansons, aussi drôles qu’émouvantes, que son style inimitable enchante.
Thomas Fersen est un drôle d’oiseau, on le sait depuis ses débuts en 1993, et notre avis sur lui n’a pas changé, même si son évolution musicale nous passionne moins qu’elle ne l’a fait à l’époque de son meilleur album, 4 : Thomas Fersen est vraiment un drôle d’oiseau ! Moitié titi parisien de Ménilmontant et Pigalle – du bois dont on fait les légendes -, moitié chanteur français dans la tradition des années 60, et moitié punk ébouriffé : ça fait trois moitiés, c’est pas grave, Fersen ne nous a jamais paru être très fort en Maths.
Bien sûr, vous nous connaissez, ce sont ses origines punks qui nous ont d’abord accrochés chez lui, cette dégaine de vrai-faux rebelle goguenard, terriblement décontracté et donc formidablement élégant. L’héritage des Clash ou des Pistols, incontestablement, auxquels il rend hommage dans l’un des plus beaux passages de son premier livre, Dieu Sur Terre, consacré à son voyage à Londres : « On n’est pas là pour le confort (…) mais pour se teindre les cheveux, trouver ce qu’on n’a pas chez nous, les disques de groupes nerveux qui portent la basse au genou, des gringalets qui ont notre âge et n’ont pas l’air en bonne santé. Ils nous ressemblent davantage que nos chanteurs permanentés. Il se coiffent avec un pétard et portent le collier du chien. Ils sont de piètres musiciens, bâclent les solos de guitare. Ils sont tous maigres, ils sont tout blancs, ont l’airs de cadavres ambulants mûrs pour l’hôpital psychiatrique. Ça paraît débile, j’en conviens, de danser en se bousculant, c’est un spectacle désolant et pourtant ça me fait du bien… ».
On a cité quasi dans son intégralité ce paragraphe parce qu’il nous en enchante, mais aussi parce qu’il permet de comprendre de quoi il retourne dans Dieu sur Terre : il s’agit des souvenirs – plus ou moins romancés et fantasmés, c’est encore plus beau, et plus drôle – du jeune Thomas, écrits comme de la poésie, avec un rythme et des rimes. Ou plutôt, parce que ces souvenirs sont fragmentés en courts (certains plus, certains longs) paragraphes portant chacun un titre, ça ressemble à un agencement dans un bouquin de textes de chansons potentielles. D’ailleurs, ça ne loupe pas, tout ça sera mis en musique et transformé en spectacle dans les jours qui viennent.
Pas si loin du Doinel des 400 Coups, le petit Thomas est un gamin frondeur, indiscipliné, intenable, qui avance dans la vie avec la poésie en bandoulière. Et que l’Art travaille déjà, très tôt : à la découverte du cinéma chez Truffaut correspond ici celle de la musique – la première guitare électrique ! – et de l’écriture. Et puis aussi, bien sûr, il y a les filles, obsession constante et parfaitement normale d’un enfant, puis d’un ado qui ne trouve pas gâté par la nature, mais qui plait bien, avec sa tignasse ébouriffée, son grand pif, et cette classe innée que Fersen a toujours, un demi-siècle ou presque plus tard.
Dieu sur Terre nous raconte en détail, avec humour et légèreté, la vie dans les quartiers populaires du Nord de Paris, dans les années 70, et ceux qui ont le même âge que Fersen y retrouveront des images, des sons, des odeurs, des goûts et des couleurs qui leur mettront peut-être le vague à l’âme, tant la plume de Fersen est vive et précise. C’est là la grande qualité de ce livre qui se savoure comme on écoute un double album vinyle qui craque un peu, tant on l’a usé sur notre vieil électrophone.
Alors, bon, on peut chinoiser – et on le fera – sur l’accélération brutale du temps dans la dernière partie du livre : après avoir musardé sur les chemins de l’enfance, Fersen taille à la machette dans les dernières années de son adolescence et le début de son âge d’adulte. Et c’est bien dommage, c’en est même frustrant. On se dit que cette partie-là de sa vie mérite un autre bouquin, et que du coup, il aurait dû refermer celui-ci à la fin de l’âge d’or de l’enfance. Et puis, chafouin comme on est, on tord un peu le nez sur le twist final, totalement inutile et finalement peu pertinent par rapport à tout ce qu’on vient de lire.
Allez, Thomas, ne te rêve pas en écrivain de thriller ou en romancier psychologique à la française, tu es un foutu poète et chanteur, c’est bien mieux ! Et puis n’oublie jamais tes années punks, s’il te plait !
Eric Debarnot