Après la déception de la troisième saison, Lior Raz et Avi Issacharoff se rattrapent avec ses 12 nouveaux épisodes de Fauda, qui élargissent le conflit israélo-palestinien et dépeignent de nouvelles tragédies individuelles et collectives.
Les deux premières saisons de Fauda avaient su à peu près se tenir sur le fil du rasoir entre justification (difficilement audible) de la politique israélienne envers les Palestiniens, basée sur l’usage immodéré de la force policière et militaire, et regard à hauteur d’homme (et de femme) sur les destins individuels, de part et d’autre des frontières de la haine et de l’incompréhension entre les deux peuples. La troisième avait été plus difficile à avaler, jouant trop le jeu du spectaculaire (l’influence de Netflix ?) et rompant l’équilibre moral entre Israéliens et Palestiniens si important à la crédibilité de la série. On abordait donc cette quatrième saison avec beaucoup de craintes…
… qui se révèlent vite injustifiées, Lior Raz et Avi Issacharoff réussissant cette fois à nous proposer douze épisodes à la fois plus défendables moralement et politiquement, et encore plus remplis de tension et de dilemmes. Voire de pure tragédie, comme dans le final, brillant, de la saison, qui mériterait de clore, de façon certes suspendue, l’ensemble de la série.
L’intelligence du scénario de la saison, surtout en tenant compte du contexte actuel où l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Israël met franchement en péril le très fragile équilibre entre juifs et arabes, est d’avoir su largement délocaliser l’action : débutant en Belgique, et nous permettant donc à nous, Européens, d’intérioriser la question du terrorisme en nous rappelant que ces luttes-là sont globales, et surtout se centrant pendant plusieurs épisodes sur la situation libanaise, puisque Doron (Lior Raz lui-même, toujours aussi fascinant mais clairement meilleur scénariste qu’acteur) fait cette fois une longue incursion entre Beyrouth et la frontière syro-libanaise, Fauda renouvelle ses sujets. D’abord, l’ennemi devient le Hezbollah, un ennemi beaucoup plus consensuel, plus acceptable vu de notre point de vue européen que le Hamas ou les Palestiniens en général : l’échiquier politique se globalise, on l’a dit, mais se complexifie aussi, permettant à la série de regagner des teintes bienvenues de gris, loin d’un dangereux manichéisme.
Au-delà des états d’âme et des problèmes familiaux des membres (enfin ceux qui ont survécu) des Services Spéciaux israéliens, qui commencent à sentir le réchauffé, ce sont à nouveau les personnages palestiniens qui captivent ici, et dont on ressent cruellement l’absence d’issue. Ainsi, le beau personnage de Maya (Lucy Ayoub), centre de la saison : jeune femme palestinienne brillante, elle a choisi par amour un mariage avec un Juif, et a intégré la police israélienne, mais elle va devoir affronter le fait que tous les beaux arrangements qu’elle a réussi à négocier jusque là ne sont que du vent, et choisir, dans un dernier épisode profondément tragique, sa place. Même son frère, Omar (Amir Boutrous), qui a au début le profil stéréotypé du terroriste honni, va gagner au fil de l’histoire une humanité qui pourra certes faire grincer des dents, mais qui rappelle, comme dans le fameux précepte renoirien, qu’au cinéma, il convient avant tout de montrer que chacun a ses raisons.
Comme toujours, Raz et ses compères scénaristes ne se privent pas de pointer que les révérées et craintes forces militaires et policières israéliennes sont bien loin d’être infaillibles et toutes-puissantes, et insistent sur le profond sentiment de culpabilité qui mine forcément ces « héros ». Plus intéressant encore est le fait que, dans cette saison, Fauda nous montre qu’un personnage aussi iconique que Gabi (Itzik Cohen) n’est pas intouchable, et que Doron, lui-même, devenu trop proche au fil de ses infiltrations du peuple palestinien, pourra commettre une erreur dramatique qui précipitera le drame final.
Les dernières images du dernier épisode sont celles d’une prière hébraïque (« shema israel ») que les croyants doivent reciter notamment à l’approche de la mort. Mais le fait que Doron l’entremêle d’une prière funéraire musulmane, récitée en arabe, a l’immense mérite de rappeler l’égalité de tous les combattants face à la mort, et constitue une splendide conclusion de cette excellente saison qui nous a réconcilié avec Fauda.
Eric Debarnot
Trop de spoilers dans cette critique, excellente par ailleurs et dont je partage le point de vue. Pas de mal en ce qui me concerne puisque j’avais déjà vu cette quatrième saison. Mais, si je ne l’avais pas vue, des éléments de langage comme erreur tragique, héros défaits, drame final auraient déjà partiellement répondu à la question essentielle que se pose tout spectateur qui s’attache aux personnages principaux: vont-ils s’en sortir?
Désolé, j’essaie pourtant de ne pas raconter trop les histoires pour ne pas spoiler, mais je vois ce que vous voulez dire. J’essaierai de faire plus attention à l’avenir. Merci en tous cas pour votre soutien.
Je ne me prononcerai pas sur les avis divers que vous avancez dans votre critique ci-dessus. Chacun se focalise, interprète et apprécie toute oeuvre à travers son propre prisme. D’autant plus sur ce sujet qui génère éternellement des discussions aussi vaines et sans issue que les destinées des personnages. Je vais juste corriger une erreur factuelle importante dans votre conclusion sur la séquence finale. Ce que vous nommez « un chant entonné à la gloire d’Israël » est en fait une prière hébraïque appelée « shema israel » que les croyants doivent reciter notamment à l’approche de la mort. Par ailleurs, le héros l’entremêle d’une prière funéraire musulmane récitée en arabe. Ça me parait des éléments essentiels à l’interprétation (encore une fois, propre à chacun) de cette fin…
Merci pour cette information en effet cruciale dont mon inculture m’avait privé. Avec votre permission, je vais donc absolument modifier mon humble texte afin de prendre en compte tout ça. Merci 1000 fois ! En espérant que vous continuerez à nous lire !