Superbe expérience esthétique, morale et émotionnelle, Le Retour des Hirondelles nous raconte la vie heureuse d’un couple amoureux de misérables paysans chinois.
Retour à la poussière, le titre international de ce Retour des Hirondelles primé dans de nombreux festivals internationaux, est incontestablement plus pertinent, puisque Li Ruijun y décrit l’effondrement de la culture rurale dans le nord de la Chine, en bordure de Mongolie, une région dont il est originaire et dont il ne cesse de filmer l’âme et la rude beauté. Un effondrement sous la corruption d’un système mafieux qui boit littéralement le sang de ses victimes, les plus pauvres, les plus démunis. Mais aussi sous les lames des bulldozers du gouvernement de Pékin, qui détruisent les pauvres habitations de terre séchée, sans plus se préoccuper de leurs habitants, toujours repoussés plus loin, que des nids que les hirondelles y ont construits…
Le Retour des Hirondelles est donc un film obstinément politique, que le gouvernement chinois n’a pas toléré et qu’il a censuré, malgré et à cause de son succès commercial. Mais c’est aussi un film qui, in fine, ne fait pas de la politique son véritable sujet, mais plutôt un film qui parle à hauteur d’homme, et qui choisit la voie du mélodrame, de l’histoire d’amour la plus pure possible, pour nous embarquer dans une chronique naturaliste et (faussement) contemplative de la vie paysanne, au fil des saisons qui passent.
Car le retour des Hirondelles nous raconte l’amour qui naît au fil du temps entre deux êtres déshérités : lui, Ma, « Fer », le cadet d’une famille qui a déjà deux fils bien plus brillants, « Or » et « Argent », frustre paysan dont tout le monde se moque, et elle, Cao, handicapée par des traitements brutaux subis de la part de sa famille à elle quand elle était enfant. On les force tous deux à se marier pour se débarrasser d’eux, et, contre toute attente, l’amour, à la fois minuscule comme ces attentions de tous les instants qu’ils se portent l’un à l’autre, et immense comme la puissance de la nature qu’ils essaient de maîtriser pour faire pousser leurs pauvres récoltes, va illuminer leur vie.
Et en compagnie de ces deux êtres qui nous paraissent de plus en plus irradier une véritable humanité absente autour d’eux, nous allons passer deux heures littéralement enchantées : entre la beauté des images soigneusement composées mais jamais « esthétisantes », et une mise en scène d’une profonde intelligence dans l’attention qu’elle porte aux êtres, aux animaux aussi (un âne dur à la tâche est le troisième personnage-clé, à part entière, du récit), et aux gestes du quotidien, nous voilà comblés. Loin du misérabilisme qui pouvait menacer un sujet aussi extrême, nous baignons dans la bienveillance et la rigueur de l’incorruptible Ma, qui respecte à la lettre chacun de ses engagements, même le plus minime, et nous nous émouvons devant la fragilité physique de Cao (une éblouissante Hai-Qing). Nous nous émerveillons aussi devant chacune des tâches menées à bien par un Ma quasi herculéen lorsqu’il construit une nouvelle maison à la femme qu’il aime, après avoir dû fuir deux fois devant les bulldozers de la « modernité ». Et peut-être nous souvenons nous, pour ceux d’entre nous qui viennent du monde paysan, des gestes immémoriaux de nos grands-pères et grands-mères qui travaillaient la terre.
Le Retour des hirondelles, tout au moins jusqu’à une dernière demi-heure terrible qui nous brise le cœur – car, oui, c’est un mélodrame, aussi réaliste soit-il – s’apparente à un long moment de plaisir devant des scènes toutes plus belles, plus touchantes les unes que les autres, et les larmes qui coulent sur nos joues sont des larmes de bonheur.
Ça s’appelle du grand cinéma, ça s’appelle un chef d’œuvre.
Eric Debarnot