Attendus en studio après des concerts exaltants, les quatre Parisiens de COSSE ne déçoivent pas avec ce It Turns Pale qui ne cède sur rien de ce qui caractérise leur musique audacieuse.
Le passage en studio pour la confection d’un premier album pour un jeune groupe qui se construit pendant des années sur scène est un défi d’envergure : comment ne pas trahir ce qu’on est, une fois coupés de l’énergie apportée par le public ? Et, à l’inverse, comment utiliser les artifices du studio pour proposer un enregistrement qui puisse avoir une vie propre, qui puisse exister sans être « incarné » par votre présence ?
Dès Crazy Horse, le premier titre de It Turns Pale, on réalise que ce défi a été relevé par COSSE : cette ouverture complexe et majestueuse, toujours légèrement en déséquilibre, traduit parfaitement l’essence du groupe, son point de vue décalé, son va et vient aux limites de l’angoisse existentielle. « There is no… way… out ! », hurlera Nils Bö plus tard, mais dès le début, les choses sont claires : le monde est noir, la vie est souffrance et la musique un traitement – palliatif certes – efficace.
Il est difficile d’étiqueter la musique de COSSE : post punk bien sûr mais jamais trop, shoegaze parfois (on ne peut guère s’empêcher de prendre le titre Slow Divers comme un hommage à l’un des groupes les plus essentiels du genre…), bruyante et dissonante plus qu’à son tour. Mais surtout, à la différence de nombreux groupes contemporains, brûlante et emportée. Enragée parfois.
Le chant de Nils Bö est ce qui distingue immédiatement COSSE : sa conviction, sa force, une certaine théâtralité aussi dans l’expression habitée de sa colère, et de tourments qui nous sont finalement communs à tous. Ce qui ne veut pas dire que le reste du groupe ne compte pas, que ses musiciens sont interchangeables : la puissance de la section rythmique, l’intensité des claviers, tout est parfait pour propulser ces chants de douleur vers les sommets. Au point que, bien sûr, le départ de la grande Lola Frichet après l’album nous inquiète forcément : ses interventions vocales en contrepoint éthéré à l’emphase de Nils sont parfaites (It Turns Pale), mais trop rares. On aurait aimé entendre un COSSE qui joue plus avec ces deux textures si différentes, et on rêve de ce qu’un chant mixte aurait pu apporter au groupe.
It turns pale n’est pas un album facile, ses morceaux sont longs et semblent s’enfoncer profondément dans ce qui s’avère une expérience mentale complexe, désorientant parfois l’auditeur. Il peut même manquer çà et là d’une mélodie un peu plus accrocheuse, mais il nous emporte par son énergie noire et sa détermination. Quelque part, il prouve que COSSE ont retenu les leçons de Sonic Youth : du noise, oui, de l’abstraction aussi, mais pour parler et de la réalité du monde, et de la perception que nous en avons. It turns pale marque clairement une première victoire de COSSE.
Maintenant, les choses sérieuses ont commencé.
Eric Debarnot