José Eduardo Agualusa a écrit un roman comme un mouvement continu de personnages et d’histoires. L’air de rien, avec sobriété, José Eduardo Agualusa nous explique pourquoi la littérature est si belle et si importante.
L’île de Mozambique est une île, située au large du pays du même nom, à une encablure seulement du continent auquel elle est d’ailleurs reliée par un pont. C’est aussi le nom d’une ville qui occupe toute ladite île! Un endroit un peu mythique, mystique aussi, chargé d’histoire — l’île a été découverte par Vasco de Gama et les Portugais y ont construit un fort. Les vivants y côtoient inévitablement les âmes de celles et ceux qui ont vécu ici. C’est donc un endroit idéal pour un festival de littérature. Des écrivains, des poètes sont là, qui viennent d’un peu partout, des journalistes aussi qui vont animer les tables-rondes. Avant que le festival ne commence, on fait connaissance ; on parle déjà littérature et création ; on se raconte les romans des uns, les poèmes des autres, ce qui ouvre des portes dans le roman, vers d’autres histoires, d’autres personnages qui ne sont pas là directement, mais présents dans les romans des présents. Dès les premières pages de ce roman, José Eduardo Agualusa a choisi de ne pas raconter qu’une seule histoire. La réalité est d’emblée multiple, confuse. Mais une réalité joyeuse. On se moque gentiment. On rit beaucoup. On se promène. L’ambiance est détendue et joyeuse. On profite du soleil et de la vie. Et puis soudain, un orage : « C’est ainsi que tout commence : un énorme éclair déchire la nuit, l’île se détache du monde. Un temps s’achève, un autre commence. À ce moment-là, personne ne s’en rendit compte.“ (p. 30).
Difficile de révéler ce qui se passe sans gâcher la fin du roman ! En même temps, sur l’île, on ne se rend pas forcément compte que quelque chose a changé. Et la lecture du roman ne semble pas gênée par ce qui s’est passé. L’orage a bien coupé l’île du continent, les communications sont devenues impossibles, y compris via internet (ce qui perturbe pas mal de personnes). Mais, il faudra un moment avant que la question de la nourriture ne se pose. De toute façon, les personnages, et nous avec, se disent que c’est probablement passager. Un orage reste un orage. Et sur l’île, on peut continuer à parler littérature. D’autant que le festival commence, avec ses lectures et ses table-rondes. José Eduardo Agualusa nous décrit tout ça, avec précision. Nous avons véritablement l’impression d’assister à une conférence. Il nous emmène sur la plage avec les écrivains, écrivaines, poètes et poétesses. Nous écoutons les histoires qu’elles et ils se racontent. Cela donne d’ailleurs lieu à quelques micro-fictions particulièrement réussies. D’autres portes qui s’ouvrent dans le roman. José Eduardo Agualusa nous emmène aussi avec lui voir un tel ou une telle qui écrivent une nouvelle histoire, que nous pouvons lire. Un autre embranchement dans ce roman.
Et puis, parce qu’il s’est quand même passé quelque chose là-bas, de l’autre côté du pont, sur le continent (très loin), la réalité commence à se dérégler. Pour des écrivaines et écrivains qui passent leur temps à se raconter des histoires, cela ne semble pas si terrible. Pourtant, ce dérèglement est perturbant. Des failles apparaissent dans lesquelles se glissent des personnages des auteurs présents sur l’île ! Rencontrer ses personnages est un vrai problème. Ce n’est pas tout de créer un individu qui se comporte comme un sagouin. Tant qu’il reste sur le papier, ça va (peut-être). Dès qu’il prend vie, les choses se compliquent. Il faut assumer leurs actes, les expliquer pour eux, s’en excuser lorsqu’ils sont déplacés… Ce n’est pas tout de donner naissance à une femme bizarre, mais quand elle s’approche de vous, il y a de quoi prendre peur ! Surtout que tout ne finit pas très bien…
Les vivants et les autres est un roman sur la littérature, sur la création, les rapports aux personnages, à la réalité et à la vérité. Avec un ton très doux, aimable, dans un style simple et direct, qui s’efface derrière son histoire, José Eduardo Agualusa pose des questions essentielles tout en racontant plein d’histoires différentes. Malgré le sérieux et la force du propos, qui oblige à une certaine attention, la richesse du roman est quelque peu étourdissante. Comme le ballet des personnages, qui entrent et sortent comme sur une scène de théâtre. Toutes et tous sont attachants, même si pas forcément bons ou gentilles. Toutes et tous ont des choses intéressantes à dire. On finit par les apprécier. On sort de ce roman avec des amies et amis ! Avec paysages dans la tête et l’envie de lire encore, toujours.
Alain Marciano