Petit joyau précieux de la folk anglaise : ainsi est le 8e essai solo de Beth Orton. Sorte de condensé du meilleur de 25 dernières années de folk électronique arpentée par Elizabeth Caroline Orton, depuis ses premiers pas aux côtés de William Orbit, en passant par ses vocalises pour les Chemical Brothers et, surtout, une charmante mais trop secrète carrière solo.
J’étais passé à côté de la sortie du 8e album de Beth Orton. Du coup, un jour ou quelques semaines de plus pour passer à sa chronique n’y changent pas grand-chose. J’aurais cependant grandement regretté de ne pas en glisser un mot dans les colonnes du webzine, tant le nouvel essai de l’artiste de 53 printemps (qui a grandi et gagné en maturité en même temps que la jeunesse des 1990’s) est une gracieuse réussite.
Petit rappel des faits si tu n’as pas suivi sa carrière. Beth Orton s’est fait connaître en marge du succès mondial des Chemical Brothers, pour lesquels elle assurait de sa voix fluette et douce de l’époque les vocals du premier Exit planet dust des anglais de l’électro. Très rapidement, dans la foulée du succès du duo, elle publiait Trailer park où sa voix juvénile, voilée d’un petit grain qui en faisait le charme, mélangeait la folk et des quelques arrangements électroniques qui en faisaient l’originalité.
De cette time capsule je convoque She cries your name, single et succès d’estime qui donne aussi, à mon sens, les clés d’entrée dans son univers quand tu étais post ado à l’époque. On y trouve la voix de femme enfant, l’impression d’être touchée par la grâce, la guitare acoustique proche de la country américaine et les arrangements électroniques subtils, pas loins de ce qui fera le succès d’une certaine french touch quelques années plus tard.
Au fil des albums, sortes de petites gemmes connues seulement des initiés ou presque, Beth Orton a affirmé sa voix sur laquelle le passage des ans ajoutait, à chaque sortie, une réelle profondeur, une réelle capacité à toucher directement les sentiments . Petit à petit aussi, les arrangements électroniques des débuts ont laissé la place au violon, au piano acoustique et la tradition folk s’est insinuée chaque album plus intensément dans la production du son Ortonien. Et, si je ne suis pas un grand fan de la folk sauf quand la voix ou la passion retient l’ensemble (Eels, Elliot Smith…) j’ai toujours trouvé que Orton arrivait à me la rendre totalement agréable via le mix parfait entre voix, gimmick pop, efficacité des émotions propres au genre, et quelque chose des ritournelles qu’elle réservait initialement aux loops de la production électronique sur ses deux premières sorties.
Sugaring season en 2012 se trouvait un côté sophistiqué et plus grandiloquent (où la réverbération dans la pièce donnait même de l’ampleur. où la voix de Orton tentait plus de rage ou d’expérimentations), de la folk avec quelque chose des grandes voix de la country américaine, le Stetson en moins. Tandis que Kidsticks en 2016 faisait la même chose du côté de l’expérimentation électronique : « fuck les arrangements vaporeux, on teste des trucs, on a la voix pour et la connaissance de l’électro suffisante pour muscler le propos. »
https://www.youtube.com/watch?v=SjlHOpAzjxM]
Six ans et une pandémie plus tard, Orton ré-élague pourtant à nouveau son « son ». La plupart des morceaux sont élaborés en accompagnement d’un seul piano. On le sent. Ils tiendraient sur le seul piano-voix. La voix de Orton, où le voile de jadis devient petite fêlure jazzy, suffirait à l’ensemble. Mais Tom Skinner apporte une subtilité à la batterie et aux percussions (Sons of Kemet, The Smile), Tom Herbert (Polar Bear) ajoute de la rondeur de basse, subtile, presque cure-éenne mais rejetée en fond de décor comme un roulement chaloupé vague et le saxophoniste Alablaster DePlume se mue en soliste esthète.
Orton a travaillé dans plusieurs studios et s’est imposée réalisatrice de son propre album. Le mix met en valeur sa voix, la musique est travaillée comme un écrin jazzy, vaporeux, subtil, intemporel et d’une élégance émouvante, passionnante.
Dans un monde où les écoutes s’enchaînent plus vite que nos ombres, fond sonore de nos activités quotidiennes via Spotify, je crains que Weather Alive ne passe un peu trop discrètement dans vos vies.
Je le sais d’autant mieux que ça m’est arrivé. Je dois être désormais à la bonne quinzaine de relectures du disque et j’y découvre de nouvelles subtilités à chaque écoute. La plus agréable surprise étant de rentrer dans l’album, à chaque fois comme dans un petit cocon de rêverie mélancolique, songes doux comme un pull élimé, mais avec le col trop gros dans lequel on aime se blottir.
Album parfait à écouter, affalé au canapé, une après-midi de pluie, quand on est seul à la maison, qu’on peut monter le son très fort, et que personne ne jugera notre douce oisiveté. Emu par des chansons émouvantes dont Beth Orton à le secret dans ma discothèque depuis plus de 20 ans. Et puis une auteure qui cite Proust pour évoquer le vendredi soir, jour de la semaine dont le flip est aussi un des succès pop de Cure, réalise chez moi le syncrétisme de la douce nostalgie de l’adolescence à l’âge adulte.
Denis Verloes