Paul Pavlowitch ? Ah oui, le petit cousin de Romain Gary et qui avait fait croire que… Non ! Paul Pavlowitch l’écrivain ! Oui, qu’on se le dise et qu’on se le rappelle, c’est un écrivain. Qu’il ait peu écrit ne change rien à l’affaire. Sauf que cela rend chacune de ses productions indispensables. C’est le cas avec Tous immortels, dans lequel il rend hommage au passé, à Jean Seberg, à Romain Gary, à sa famille avec amour, sincérité, et justesse littéraire.
C’est écrit en grosses lettres sur le fond rouge du bandeau qui enserre le livre. C’est répété sur la (superbe) couverture, en lettres en relief qu’on ne peut pas ne pas toucher quand on tient le livre pour le lire – Émile Ajar ! Le pseudonyme que Romain Gary avait choisi pour écrire ses romans au début des années 1970 et qu’il avait demandé à Paul Pavlowitch d’incarner. Comme si ce devait nécessairement être la clé d’entrée dans ce livre. Comme si on ne pouvait parler de Paul Pavlowitch qu’en rappelant l’épisode étrange et douloureux, scandaleux. Comme si Paul Pavlowitch ne pouvait parler qu’en tant que « celui qu’on appelait Émile Ajar », mais pas en tant qu’écrivain, comme si son statut d’écrivain devait inéluctablement être ramené à cette incarnation ! L’erreur est compréhensible et somme toute difficile à éviter, mais c’est une erreur malgré tout.
Toujours revenir à Émile Ajar, à l’odeur de soufre du scandale est difficile à éviter, d’abord parce que le rôle a fortement marqué Paul Pavlowitch. Il l’a confié. Cela a été dit et répété. Il le répète ici encore. Une mention dans l’introduction et puis les 50 dernières pages du récit. Donc, c’est une évidence : il est impossible de ne pas en parler. Mais attention de ne pas faire une fin en soi de ce qui est une justification de l’écriture du livre, et la fin de l’histoire ! Ajar n’arrive qu’à la fin, quand 80 % du livre sont passés, autant dire sa plus grande partie. Ce ne devrait pas être la lumière qui attire les insectes la nuit, qui leurre le regard. Regardez ce doigt que j’agite…
Et vous manquerez l’essentiel. Deux choses en l’occurrence. D’abord, Tous Immortels, avant d’être un récit de l’affaire, raconte les vies de Jean Seberg, de Romain Gary, de la famille de Paul Pavlowitch. Jean Seberg, la jeune femme qui a la force de dire non à la société empesée, bloquée, raciste de la fin des années 1950 dans laquelle elle grandit, qui réussit à se faire une place dans le monde (violent) du cinéma mais à un prix énorme, mais doit subit la violence des institutions de son propre pays (les « manigances » du FBI qui la poussent au suicide). Romain Gary, écrivain de génie construisant une œuvre majeure, plongé dans les affres de la création, qui ne convainc pas toujours la critique. Gary que Paul Pavlowitch trouve « séduisant » et qu’il admire – ou en tout cas, dont il admire l’œuvre. Gary, avec lequel Paul Pavlowitch a des rapports ambigus – « J’ai longtemps hésité : un papa de rechange ? Non. Disons : une ombre tutélaire, à distance respectable. » Gary, à la fois protecteur et vampire, « Tonton Macoute », qui se vampirise aussi lui-même. Jean Seberg, une actrice, et Romain Gary, un écrivain en quête de soi, toujours en train de se réinventer. Des personnages « réels » qui attendaient un auteur pour les raconter et redevenir vivants. Comme il l’avait fait dans Tom – géniale biographie d’un personnage de roman, Tom Ripley –, Paul Pavlowitch rend ces personnages inoubliables – immortels (donc). Bien plus vivants ici que dans n’importe quelle biographie.
Ramener encore et toujours Paul Pavlowitch à Ajar, à ce romancier qu’il n’a pas été, nous empêche de voir, ensuite, de voir combien il est aussi un écrivain, même si sa carrière n’a jamais « décollé » comme on peut le lire. Tous immortels n’est pas un livre de souvenir écrit par quelqu’un qui ne connaît la littérature qu’indirectement, pour avoir lu et « édité » les écrits des autres. Tous Immortels, retenons cela, est l’œuvre d’un remarquable conteur ! Paul Pavlowitch écrit avec sérénité, détachement et relâchement. La sérénité de celui qui connaît suffisamment son affaire pour avancer avec maîtrise, du marathonien qui court sans se désunir malgré l’effort. Pas de faute de goût, pas d’excès, pas d’insuffisance dans la manière d’écrire ou dans la structure.
Tous immortels est aussi écrit avec la sérénité de celui qui, en effet, se dit qu’il est temps de partager ses souvenirs, mais sans acrimonie, sans souci de revanche ou de vengeance. Paul Pavlowitch éprouve de toute évidence une grande affection et probablement une grande admiration pour ses « personnages ». Sérénité et détachement, presque jusqu’au bout car l’épisode « Émile Ajar » sent la tension. Le style change, imperceptiblement, mais suffisamment pour que cela devienne irrespirable. Quelle tension… non, ce que Gary avait demandé à son cousin n’était pas facile et cela ne s’est pas bien passé. Ce n’est pas une raison pour réduire Paul Pavlowitch à cela !
Alain Marciano