On les attendait au tournant après la réussite de leurs premiers EPs et des concerts brutaux mais sensibles, et les filles de Grandma’s Ashes ne déçoivent pas avec un premier album profond et complexe, reflétant parfaitement leur approche ambitieuse de la musique.
Quelle est la meilleure manière de répondre à un ami qui se gaussait de voir figurer parmi les 5 albums « classiques » préférés des filles du Power Trio de Grandma’s Ashes le fameux Close To The Edge de Yes ? Lui faire écouter ce This Too Shall Pass, premier album d’un groupe qui ne fait rien comme les autres, et qui est parti du grunge et du rock stoner pour évoluer vers… autre chose. Vers une musique qui a pour ambition d’ouvrir les fenêtres, les cœurs et les âmes, à une époque où nous vivons des vies étriquées, rétrécies par la peur et par le ressentiment. Alors oui, cet ami regrettera sans doute que les chansons de cet album hors-normes soient longues, et s’apparentent avant tout à un long parcours dans un labyrinthe émotionnel. Qu’il n’y ait pas ici de simple chanson pop de moins de trois minutes. Et si, pour les plus vieux d’entre nous, nous ne nous repentirons jamais de notre « rébellion punk » en 1976 contre la musique prétentieuse et enflée que le Rock Progressif représentait, en 2023, il est grand temps d’arrêter de singer les meilleurs artistes du début des années 80 (« post-punk », mon beau souci) pour aller voir ailleurs si nous y sommes…
… ce qui est exactement ce que Eva (au chant et à la basse), Edith (à la batterie) et Myriam (à la guitare) font, et qui leur a permis de sortir cet album, qui représente exactement la place où elles sont, et d’où elles jouent et chantent en ce début 2023. D’abord, et ce n’est pas anodin, ce n’est pas un « effet de mode », on parle de « More Women On Stage », cette idée simple mais puissante sortie de la tête de Lola Frichet, bassiste de Pogo Car Crash Control (et de COSSE jusqu’il y a peu) : on parle de ce que les femmes apportent à la musique d’aujourd’hui, plus de sincérité, plus de force, plus d’énergie, plus de modernité, moins de clichés. Ensuite, il y a le fait que la musique que nous faisons doit parler de nous, avec franchise et pertinence : au cœur d’un monde qui semble foncer à toute allure dans le mur, se retrouver soi-même, avec ses angoisses, ses frustrations, et exorciser tout cela à travers une musique qui s’ouvre également vers l’imaginaire (la connexion Yes, si l’on veut…), c’est ce qui nous paraît être le programme de Grandma’s Ashes avec cet album tour à tour lyrique, éthéré et brutal. Bien sûr, le titre de l’opus explicite clairement un sentiment d’éphémère à la fois troublant mais aussi peut-être un peu rassurant…
La superbe introduction a capella de A mon seul désir surprendra l’auditeur anticipant une décharge de plomb, et explique clairement que les choses ne sont plus aussi simples qu’elles pouvaient le paraître à la naissance du groupe… Même si, logiquement, Cold Touch fait ensuite parler la poudre, les vocaux d’Eva pondèrent les assauts de brutalité de la guitare et de la rythmique : au cœur d’une musique fondamentalement sombre, lourde, la lumière perce. Et ce sera le motif principal d’un album qui souffle le chaud et le froid, qui va tantôt invoquer la puissance noire de riffs énormes, tantôt préférer une beauté plus ténue. Aside, le single, est exemplaire de la démarche, avec un riff quasi Led Zeppelinesque (un gros compliment, mais les filles le mérite), contrastant avec le chant empathique.
On remarquera particulièrement le déploiement très prog rock de Spring Harvest ou de la conclusion, le complexe Lost At Sea (même si, sur ce dernier, on aurait bien apprécié une explosion plus conséquente de violence, que le titre semblait appeler…), et sur le versant heavy de l’album, l’efficacité de Cassandra. Mais tous les titres s’avèrent intéressants, déployant leurs beautés au fil des écoutes, car This Too Shall Pass en nécessite plusieurs pour séduire, c’est un fait que certains pourrons déplorer en notre époque de gratification immédiate.
Non, s’il y avait un petit regret à formuler, au final, c’est que les filles semblent parfois retenir leurs coups, et que le disque aurait certainement bénéficié de basculer plus franchement, de temps en temps, dans la violence ou la folie, ce qui aurait d’autant plus mis en valeur les moments de calme et d’introspection. Mais on sait que sur scène, ces explosions, portées par la guitare abrasive et virtuose de Myriam seront bien présentes…
Eric Debarnot