Rire de la religion est osé, dangereux peut-être en notre époque d’intolérance généralisée. Mais comme Genèse & Prozac est absolument hilarant, et diablement intelligent en plus, les excités de la foi auront peut-être pitié de l’âme de Rémi Lascault et d’Ami Inintéressant…
« On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui… » : une phrase répétée chaque fois que l’on veut défendre la liberté bien française de caricaturer, de se moquer, sans adopter l’attitude dite « politiquement correcte » chère à nos voisins anglo-saxons. Et du même coup pointer du doigt l’intolérance crasse – et souvent criminelle – des croyants de tous poils. Il faudrait sans nulle doute que les éditions Pataquès collent sur la couverture de Genèse et Prozac un sticker rappelant cette évidence, histoire d’éviter que des croyants mal intentionnés n’ouvrent ce livre et ne décident de partir en guerre sainte ou en djihad (même combat) contre Ami Inintéressant – le scénariste – et Rémi Lascault, les deux mécréants qui vont à coup sûr offenser une grande partie de ceux qui placent le « respect de la religion et de la foi » au-dessus du respect fondamental de l’être humain.
Vous l’avez compris à cette introduction un peu dramatique, Genèse & Prozac, en dépit de son titre assez maladroit et finalement peu en rapport avec ce qu’on lira au long de ces 64 pages brillantes, est un bouquin iconoclaste : on rigole énormément ici aux dépends des fadaises propagées par les soi-disant livres saints (Ancien comme Nouveau Testament), qui ont émerveillé les gogos depuis deux millénaires. Mais c’est aussi un bouquin diablement intelligent par la manière subtile dont il ne se contente pas seulement de rire des absurdités des « mythes » bibliques (le jardin d’Eden, Moïse et la fuite d’Égypte, le buisson ardent, les tables de la loi, la virginité de Marie, les Rois Mages, les miracles de Jésus, tout ça est évidemment du « pain béni » pour imaginer un nombre infini de gags), mais aussi par le lien qu’il suggère entre les préceptes de la chrétienté et certains vices bien séculiers, comme le libéralisme, et comme cet égoïsme de plus en plus universellement répandu.
Le principe de départ de Genèse & Prozac est très simple, et imparable : puisque Dieu nous aurait créé à son image, cela signifie logiquement qu’il est aussi faillible, irréfléchi, irresponsable, lâche, et on en passe… que le commun des mortels. Et que, pour peu que l’on soit croyant, l’on peut expliquer la majorité des failles de l’humanité par l’incompétence divine ! Et c’est ce qui est quasiment magique dans ces gags, la plupart au format d’une seule page, introduite par une citation de la Bible, détournée ou non : non pas qu’ils soient quasiment tous hilarants – même si c’est évidemment la preuve du talent d’Ami Inintéressant -, mais avant tout qu’ils résultent d’une logique irréfutable. Les plus vieux lecteurs s’étonneront peut-être de retrouver ici des échos de l’humour absurde mais aussi parfaitement cohérent qui était celui de Gotlib dans sa Rubrique-à-Brac : une belle preuve s’il en est de la modernité – et de la nécessité vitale – de ce genre d’approche, sachant conjuguer plaisir (celui, si rare, de rire !) et réflexion…
Dessiner ce genre de délire était évidemment un défi. Le choix d’un style graphique simple, presque neutre, peut surprendre : on aurait tendance à imaginer que la folie des gags serait mieux relayée par un dessin lui-même délirant, mais au fil des pages on comprend le choix de ce graphisme discret, qui privilégie la lisibilité des situations et la force des dialogues et des commentaires.
Une franche réussite, ce qui signifie qu’on attend maintenant avec impatience la suite. Après tout, l’histoire du monde tout entière ne manque pas d’absurdités, qui ont de quoi stimuler la verve d’Ami Inintéressant et de Rémi Lascault !
Eric Debarnot