[Interview] Forever Pavot : « j’ai l’impression de faire de la musique comme un idiot »

Nous avons rencontré Émile Sornin aka Forever Pavot qui était en résidence à La Sirène, la très belle salle de musique actuelle, à La Rochelle.Il y préparait les concerts qui accompagnent la sortie de son excellent 3ème album L’idiophone. Nous revenons sur ses penchants pour la musique de films des 70’s, la conception de ce dernier album et sur la notion d’idiophone

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© Antoine Magnien / Born Bad Records

Pour commencer une première question impertinente d’un boomer : j’ai du mal à m’expliquer ce qui amène un artiste trentenaire à être inspiré par des musiciens comme de Roubaix, Cosma, Morricone, ou Vannier qui pour des gens de ma génération ont cet arrière-gout des films neurasthéniques du dimanche soir à la téloche ? Est-ce une idéalisation des 70’s ?

Émile Sornin : (rires) Je ne sais pas si c’est une idéalisation parce que je n’ai évidemment pas connu les années 70 puisque je suis né dans les années 80. Mon amour pour cette musique est arrivée assez tard parce que dans mon adolescence ça n’était pas parvenu à mes oreilles. J’ai découvert cette musique via le rap et le hip hop dans les années 90/2000. Cela étonne les gens, mais je me suis rendu compte avec le temps que ce qui me parlait le plus dans le hip hop et le rap, c’est qu’on appelle les beatmakers, notamment quand ils puisaient dans la musique un peu dramatique, mélancolique, ceux qui utilisaient des disques de musique de films français, italiens. Je pense à des artistes comme MF Doom, Madlib, Alchemist, J Dilla. Des Américains qui étaient passionnés par la musique européenne et qui samplaient Sarde, de Roubaix, Colombier des trucs comme ça. Et moi quand j’étais ado en m’amusant à faire des instrus je me suis mis à sampler les disques de mes parents et après quand je suis arrivé à Paris j’ai continué un peu là-dedans, je me suis mis à collectionner les disques donc j’allais chez les disquaires, j’allais aux puces, je cherchais, j’étais un peu ce qu’on appelle un « digger » et au fur et à mesure de m’amuser à faire ces instrus je me suis rendu compte que je n’aimais pas juste les boucles mais les disques en entier, et c’est là que je me suis ouvert à la musique brésilienne, à la musique de film, au rock progressif, au jazz.

Quand tu as travaillé avec Charlotte Gainsbourg, vous avez parlé de Jean-Claude Vannier ?

Émile Sornin : La collaboration avec Charlotte Gainsbourg c’était un peu spécial, je n’étais pas en direct avec elle, on s’est vu très peu, j’étais plutôt en direct avec SebastiAn qui a réalisé, produit et composé l’album, c’est un artiste de musique électronique français. Lui c’est un mec qui travaille sur un ordinateur et qui n’a pas du tout d’instruments analogiques ou d’instruments acoustiques. Il connaissait ma musique et il m’a appelé en me disant : « moi j’ai envie que tu travailles sur un morceau parce que j’ai envie qu’il y ait du clavecin ou des sonorités comme ça, un peu 70’s », je lui ai fait des propositions et puis on s’est rendu compte que ça marchait bien, donc il m’a fait travailler sur la moitié de l’album, et c’est lui qui s’est dit OK « moi je veux ramener le côté 70’s de Gainsbourg dans la musique de sa fille », et donc la collaboration s’est faite comme cela mais elle, je l’ai vue 3 fois.

Forever Pavot – L’idiophone : vraiment smart

Il n’y a pas d’idiophones sur la pochette, pourquoi as-tu appelé ton album ainsi, c’est pour tromper l’auditeur qui ne connait pas le sens du mot, donner un côté second degré ?

Émile Sornin : (rires) Non il y a un idiophone caché, enfin pour moi cela en est un, c’est un métronome, pas un instrument en soi d’accord mais ça reprend cette idée de percussion, le son du métronome pour moi c’est presque comme un instrument. L’étymologie du mot idiophone me plaisait beaucoup pour plusieurs raisons déjà je le trouve assez beau et puis ça résume bien ma manière de faire de la musique, c’est presque un mot qui veut dire l’instrument des idiots, des imbéciles. Moi j’ai l’impression de faire de la musique comme un idiot, comme un débutant. Il y a beaucoup de gens qui sont très étonnés quand je leur dis que je ne connais pas du tout l’harmonie, je fais tout à l’oreille, je suis quelqu’un qui travaille avec beaucoup de sensibilité, je ne suis pas du tout intellectuel. Je suis un percussionniste, en fait j’ai commencé la musique avec la batterie et donc tous les instruments je les aborde de la même manière, de manière percussive et un peu comme un débile, comme un enfant, j’appréhende la musique de cette manière-là. Les idiophones ce sont les instruments de percussion qui résonnent d’eux-mêmes. Je me suis rendu compte avec le temps que j’adorais mettre en avant ces types d’instruments. Alors ce mot est hyper désuet et utilisé pratiquement par personne. Je me le suis réapproprié, pour moi les idiophones ce sont les triangles, les claves, les petits instruments percussifs qui ont souvent des consonances presque métalliques avec des fréquences très aiguës, j’aime les mettre en avant, une autre chose très importante c’est qu’ils ont dimension très cinématographique puisque c’est presque de l’ordre du bruitage : un triangle une cloche ça ramène tout de suite dans l’inconscient collectif des images, une scène quelque chose des événements.

BenzineMag : Idiophone, c’est un concept album ? Au départ as-tu écrit un scénario à l’image du story-board qu’on trouve sur la pochette ? Tu savais quelle couleur musicale aurait le projet : comme si tu faisais de la musique à l’image ?

Émile Sornin : Non ça c’est fait complètement fait dans l’autre sens mais cela serait intéressant d’essayer de composer la musique basée sur des images, je l’ai fait sur des films mais sur un faux storyboard, sur une bande dessinée cela serait intéressant, mais pour le coup, là c’est tout l’inverse : j’ai composé et écrit les paroles après la musique alors y a des exceptions, il y a un morceau comme La mer à boire qui a été composé genre piano chant donc vraiment de manière classique mais sinon généralement je vais au bout même des arrangements, de la dernière petite touche pour écrire ensuite les paroles et l’histoire et après une fois que le disque est terminé, la pochette vient vraiment en tout dernier.

BenzineMag : Idiophone, tu l’as fait seul dans ton studio et tu as fait ensuite appel à des collaborateurs ? Raconte-nous un peu.

Emile Sornin : Les disques précédents j’ai toujours fait – on va dire 90% du travail tout seul – de l’enregistrement à la production, à la composition, là ça a été un peu différent dans le sens où j’ai créé une quinzaine de maquettes que j’ai soumis à plusieurs producteurs dont des musiciens avec qui je travaille ici et d’autres gens avec qui j’avais envie de travailler. On a travaillé avec Vincent Taeger, Maxime Daoud, et Sami Osta qui sont des musiciens que j’estimais beaucoup, je leur ai fait écouter mes maquettes, on a retravaillé ensemble comment les améliorer, on a réenregistré ce qu’on appelle les « basics tracks », c’est les basses, batterie, piano, on les a enregistrés en live sur bandes dans un grand studio et ensuite j’ai travaillé les arrangements seul dans mon coin et c’est la nouveauté pour ce disque car je voulais partager un peu et avoir d’autres sons de cloche – sans jeu de mots – afin de pouvoir me renouveler aussi, avancer un petit peu et je crois que j’ai bien fait.

BenzineMag : Idiophone s’ouvre avec Dans la voiture, on se retrouve dans un roman noir de Jean-Pierre Manchette, un mec en fuite dans une Ami 8 qui écoute Stravinsky, puis cela enchaine avec Au Diable un musicien qui se fait tout saisir par un huissier sauf les touches de son piano puis Les Informations où tu énumères des sujets d’actualité pas vraiment glamours, il y a un message, une révolte par rapport à ce qui nous entoure ? C’est de la chanson engagée ?

Emile Sornin : Je ne sais pas, on m’a posé plusieurs fois la question, je ne calcule pas trop ce que je fais, je ne me sens pas intellectuel et à calculer quelque chose, tout est sensibilité, je n’ai pas d’idées derrière la tête. Alors bon Les informations, je ne m’insurge de rien, ça vient plus d’un constat qui m’a toujours frappé dans les journaux télévisés, c’est qu’on passe d’une actualité à une autre, qu’elle soit d’une extrême ou violente à un truc qui est complètement mignon, ça m’a toujours choqué et j’ai essayé de m’en amuser un peu.
Les histoires de ces personnages, c’est plus que ça me faisait rire en fait et après j’ai bien conscience que ce disque-là n’est pas drôle et qu’il est quand même très dark. Ce sont des personnages plus ou moins inventés, qui font écho à des choses que j’ai vécues et qui sont aussi des personnages à qui il arrive des malheurs, à qui il manque une case aussi, j’ai toujours eu un peu de tendresse pour ce genre de personnage dans le cinéma, dans la littérature, des personnages un peu fébriles, c’est ce que je ressens être aussi : un peu sensible, un peu fragile.

BenzineMag : Tu es en résidence à La Sirène à La Rochelle, comment est-ce que cela se passe, tu arrives à bien transposer sur scène ce qui se passe sur disque ? Es-tu content du travail accompli ?

Emile Sornin : Oui on prépare le live mais ce n’est pas évident on réarrange beaucoup, et j’ai de la chance d’être accompagné de super musiciens avec qui on discute beaucoup, on réfléchit à ce qui est le mieux et on réadapte les morceaux et c’est très bien comme ça. Comme y a beaucoup de couches sur mes morceaux, il y a des claviers qu’on remplace par des guitares et on réarrange ensemble. On ne rejoue pas tout l’album car il faut qu’on fasse un show d’un peu plus d’1 heure 15, on va dire qu’il y a 40% d’anciens morceaux et puis 60% du nouvel album.

BenzineMag : Tu composes des musiques de films, pour quels cinéastes, vivants ou disparus, aimerais-tu travailler, quelle esthétique ?

Emile Sornin : Je réfléchis…j’aurais adoré un Claude Sautet, Alain Jessua, des gens comme ça, j’aime bien le cinéma de Desplechin, Mouret, Podalydès que j’aime beaucoup, dans d’autres trucs Gaspard Noé aussi pour le coté assez dark, dans une autre dimension et puis Quentin Dupieux aussi pour le coté absurde. Cela serait cohérent de bosser avec des gens comme ça qui ont cet amour pour ce cinéma des années 70/80. J’ai bossé avec Monia Chokri, je rebosse avec elle sur un autre film et je m’éclate, elle adore la musique italienne, on s’influence vraiment, on s’inspire beaucoup de cette époque-là et puis c’est de la musique que j’adore faire, de la musique à thèmes, quand je tombe sur des réals comme ça c’est fabuleux.

BenzineMag : Dernière question, on reparle en ce moment d’Émile Ajar double de Romain Gary, Émile Sorin de quel musicien pourrait-il être le double ?

Émile Sorin : (un peu décontenancé et après réflexion) David Axelrod.

Propos recceuills par Eric Attic – gfévrier 2023

Forever Pavot – L’idiophone
Label : Born Bad records
Date de sortie : 3 février 2023