Hier soir, on inaugurait pour notre part la Marbrerie de Montreuil, pour accueillir le groupe chouchou de nombre d’entre nous, un peu plus d’un an après leur dernier passage à Paris, lestés cette fois d’un excellent nouvel album.
La Marbrerie à Montreuil n’est pas une salle qui figure d’habitude sur la liste des amateurs parisiens de Rock. Ça va peut-être changer… En tout cas la programmation d’un groupe aussi « culte » que And Also The Trees est un gros coup. Pour beaucoup d’entre nous, c’est une découverte ce soir, plutôt agréable d’ailleurs : une scène bien large, beaucoup d’espace pour le public, la possibilité de se restaurer pour ceux que la musique ne rassasie pas… et surtout un son qui sera excellent, ce qui est bien le plus important !
20h05 : la soirée débute de manière ambitieuse avec Frédéric D. Oberland et son impressionnante table de matériel installé à même la fosse, devant la scène. Et c’est parti pour 40 minutes d’introspection abstraite, avec très peu de beats, des atmosphères sombres, orageuses. Le set s’ouvre sur un texte détaillant le désastre environnemental, accompagné de clochettes agitées par Frédéric, texte peu à peu noyé dans le chaos sonore. A deux reprises, Frédéric s’empare de son saxo pour transpercer le nuage sonore oppressant de déchirures free. Bien entendu, entrer dans cette musique pour en jouir requiert une véritable concentration, et le problème viendra d’une partie du public (pourtant pas très jeune, plutôt contemporain de And Also The Trees), qui ne montre guère d’intérêt pour la musique et bavarde sans crainte de gêner : lourd, lourd ! Le pire, c’est que ça va se poursuivre pendant le set de And Also The Trees.
21h10 : Les frères Simon Huw et Justin Jones sont des vétérans des eighties, et pas mal de nostalgiques dans le public ont l’air de vouloir revivre – ou au moins évoquer le temps d’un soir – leur jeunesse cold wave. Ça ne va pas vraiment être possible, car And Also The Trees ont évolué vers une musique de plus en plus atmosphérique, disons quelque part entre Scott Walker et Tindersticks, avec un soupçon de théâtralité « à la Nick Cave » en plus de la part de Simon qui semble vivre intensément ses textes. Mais la musique de And Also The Trees s’est encore enrichie avec en particulier l’arrivée de Colin Ozanne et son apport conséquent au spectre sonore du groupe. Et ce soir, bien plus encore que lors du concert anniversaire de la Maroquinerie en octobre 2021, ça va se sentir.
Le set démarre immédiatement dans le registre le plus contemporain du groupe, avec le fascinant In a Bed In Yugoslavia, sur lequel on réalise à quel point la clarinette de Colin enchante la musique : une amie nous fait remarquer que cette clarinette ajoute parfois une atmosphère klezmer… D’ailleurs la musique de And Also The Trees, tellement anglaise à l’origine (on se souvient que le regretté John Peel la qualifiait de trop anglaise pour avoir du succès en Angleterre…) porte désormais en elle des traces de nombreux courants musicaux européens, et en premier lieu le flamenco, qui apparaît régulièrement en filigrane dans les nouveaux morceaux de The Bone Carver, le nouvel album. On retrouvera ces sonorités hispanisantes par exemple sur le jazzy The Book Burners, et encore plus sur le très hispanisant The Seven Skies un peu plus tard.
On pourra même, provocateurs que nous sommes, regretter que And Also The Trees n’aient joué que cinq morceaux de The Bone Carver (mais, bon dieu, pourquoi ne pas nous avoir interprété le formidable The Girl Who Walks The City ?). Un set constitué uniquement de chansons des deux derniers albums serait certainement merveilleux… Mais bon, ne soyons pas cruels pour nos amis qui vénèrent le groupe depuis le début des années 80, Simon et Justin auront généreusement parsemé leur setlist de titres de leurs trois premiers albums, et en particulier Virus Meadow, de 1986.
En fait, ce soir, mis à part un remue-ménage embarrassant provoqué par quelques individus ivres, qui obligera d’ailleurs Simon à s’interrompre pour faire la police, le concert de And Also The Trees atteindra une véritable splendeur musicale : un travail remarquable de chaque musicien, une concentration et une générosité totale de la part de Simon, qui, même s’il n’a pas une grande voix à proprement parler, réussit à créer des atmosphères parfaitement envoûtantes. A la batterie virevoltante, et toujours surprenante, souvent debout ou couché sur ses fûts, l’original qu’est Paul Hill fait un travail spectaculaire, et prend régulièrement le lead de la section rythmique, laissant Grant Gordon se concentrer sur la musicalité de sa basse à 5 cordes.
Le set principal se clôt sur les parties de guitare déchirantes de Missing, puis sur l’intense final de Rive Droite, après seulement une heure quinze. Mais pas d’inquiétude, And Also The Trees nous ont prévu un rappel de quatre titres, trois classiques des années 80 et un nouveau morceau, le parfait The Bone Carver, le tout constituant une revue complète des forces du groupe. Comme personne ne veut encore les laisser partir, il leur sera exigé un second rappel, qui sera l’inévitable So This Is The Silence, départi de ces oripeaux The Cure / Bauhaus que le groupe a abandonnés depuis longtemps, et encore plus beau comme ça.
Une réussite mémorable que cette soirée And Also The Trees à la Marbrerie, un lieu qui, on l’espère, accueillera régulièrement des concerts Rock… à condition de mettre un peu d’ordre au milieu de ce public pénible. Quant à And Also The Trees, on les imagine bien repartis pour au moins vingt ans, au niveau de créativité où ils en sont aujourd’hui !
Photos : Robert Gil et Eric Debarnot
Texte : Eric Debarnot