The Waeve surprend les auditeurs car il ne correspond pas à ce qu’ils pourraient attendre des auteurs qui le mènent. Il y a des sons expérimentaux, des voix au premier plan, comme des couches qui se chevauchent et se répondent. Micro-univers entièrement cohérent et satisfaisant, en suspension. Dans l’ensemble : c’est un succès subtil.
On ne me dit plus rien à moi. Je ne savais même pas que Graham Coxon de Blur s’était séparé de sa compagne pendant les années pandémiques; sans doute en partie, suite à un retour de Los Angeles où il habitait jusque Londres, précipité par les mesures liées aux confinements. Bon, on s’en fiche, tu me diras, et tu auras raison. Sauf que sans les doutes et les déconvenues de ces années Covid, Coxon n’aurait sans doute pas subi le lion en cage en famille, vu plein de concerts être annulés et une collaboration pour les festivals de Duran Duran s’envoler en fumée. Sans les doutes et les ruminations de cette période, il n’aurait peut-être pas testé des sons comme dans l’album Superstate de 2021 (beaucoup plus synthétique que ce à quoi il nous avait habitués) et il n’aurait pas participé à un concert de charité en faveur du Liban pour la Croix-Rouge, dans un mini club où devait se produire aussi quelques brit stars, comme Rose Elinor Dougall.
Autrice de 3 albums solo et tu es peut-être assez vieux/ vieille pour l’avoir entendu remettre les girls group sixties sur la carte des années 2000 avec son et leur album explosif we are the Pipettes en 2005. Les deux se sont croisés, ont échangé, ont discuté de leur passion pour Bob Dylan, Broadcast, Talk Talk, puis ont décidé de composer des trucs pour voir, sans pression, sans vraiment se connaître, sans enjeu, juste en partageant de la zique. Avec tellement aucune pression qu’ils ont fini avec un album complet et une complicité dont il se raconte dans les colonnes des sites People qu’elle pourrait mener à des fiançailles…
Quand tu connais le goût britpop punk de Coxon, et le son si caractéristique de sa Télécaster en solo et en groupe, forcément, tu t’attends à un album énergique, barré avec une voix de fille… Et en fait pas du tout. C’est plutôt une bonne surprise, de fait. La créativité un peu dark du bonhomme trouve un autre chemin d’expression. Rose Elinor Dougall utilise sa voix comme une crooneuse, et sur ce lit de graves, la voix fluette de Coxon semble une sorte de rouge-gorge déglingué.
Foin ici de punk ou de pop spectorienne. Ce qui prévaut, c’est l’ambiance un peu déprimée, mais jamais plombée. Il y a quelque chose de folk, mais aussi des expérimentations des Pink Floyd de wish you were here dans cet album éponyme. Les sons ses répondent, accroissent parfois la sensation de grisaille ou d’oppression. On prend les guitares, on les éloigne dans le mix, on utilise la voix, ici les voix, comme des nappes aériennes qui se mélangent et se répondent. Rose Elinor Dougall maîtrise. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle avait une vraie signature, à l’époque des Pipettes, peut-être la rondeur est-elle une bonification du passage du temps. Il y a énormément de clavier (piano, synthé…) sur cet album et avec la guitare ils semblent joués au loin, la basse est distordue. C’est simple, même l’improbable saxophone qui entre en transe, occupe plus le devant de la scène, tandis que la guitare se planque derrière. Il y a une mélancolie énergique et bien travaillée dans l’ensemble qui donne un bloc très cohérent. On se sent parfois dans une version apaisée de Siouxsie and the banshees, parfois dans un album inconnu de David Bowie. Bon, Graham n’a pas la voix de Bowie du coup, on sent aussi que Coxon, qui joue le saxophone sur l’album, l’utilise comme une sorte de seconde voix plus virtuose que la sienne, mise très en avant sur les morceaux. Comme on ne le faisait plus depuis les années 80.
L’ensemble est très bien foutu. Ce genre d’album qu’on n’attend pas, qui ne feront pas de gros remous sans doute… Mais qui démontrent à la fois une efficacité, une maîtrise, et la capacité de ses auteurs à développer un micro-univers en suspension. À se renouveler aussi. Puisque le guitariste de Blur a plus de 50 balais. Entièrement cohérent. Entièrement satisfaisant. Une vraie et discrète réussite. Je crois que cela fait bien longtemps que je n’avais plus kiffé un cuivre omniprésent dans le rock.
« I don’t care if I’m dying, Kill me again, I run through your fingers laughing, I fall through your eyes and then I don’t care if I’m dying, Kill me again, Kill me again, Kill me again »
Denis Verloes