Descendu en flammes par la critique cinématographique US – celle qui « compte » – le second film de Florian Zeller mérite-t-il autant d’indignité ? On vous donne notre avis…
Il est arrivé à Florian Zeller la même mésaventure que connaissent les musiciens qui rencontrent un succès inattendu avec leur premier album, et qui se font descendre en flammes lorsqu’ils publient leur second, ce dernier n’étant souvent, il est vrai, qu’une version moins convaincante du premier. La rage, parfois haineuse, des critiques US vis-à-vis de The Son ne surprendra donc pas le fan de musique habitué à ces retours de bâton plus ou moins injustes, mais il est en outre exacerbé par la sensibilité états-unienne sur le sujet du suicide des adolescents, qu’on accuse donc Zeller ne pas traiter « sérieusement » dans son film.
Mais revenons au point de départ, c’est-à-dire au succès critique – et populaire, dans une certaine mesure – dans le monde anglo-saxon du premier film du frenchie Florian Zeller : du jamais-vu pour un débutant expatrié loin de l’hexagone, qui a permis à certains chroniqueurs français d’entonner un couplet patriotique bien déplacé. Il était bien commode d’oublier que Zeller est un dramaturge accompli, et donc loin d’être un « débutant », mais aussi que c’est beaucoup le soutien et le talent d’Anthony Hopkins qui a propulsé The Father sous les feux des médias.
Zeller a donc voulu, logiquement ou pas, refaire le même hold up… le génial Hopkins lui rendant même le petit service d’apparaître dans une scène, une seule, mais que nombre de gens s’accordent à qualifier de sommet du film, tant le talent et le charisme du bonhomme sont considérables ! Depuis les Romains, on sait que « Bis Repetita Non Placent », un adage que The Son ne démentira pas. Zeller adapte donc une autre de ses pièces à succès, avec l’aide du même scénariste vétéran, Christopher Hampton. Et passe du « père » au « fils » (en attendant dans le jeu des 7 familles, la « mère, « la sœur », etc.), tendant clairement le bâton pour se faire battre.
Et The Son est bien inférieur, en effet, à The Father : pas très bien écrit, passant à côté de son sujet (le malaise d’un adolescent dont ses parents – divorcés – n’arrivent jamais à saisir la gravité, ce qui aura des conséquences terribles…), et échouant à mettre en valeur le jeu de ses acteurs qui en font pourtant un maximum. Cette sorte d’indifférence de Zeller vis-à-vis de la tragédie du « fils », interprété par un Zen McGrath dont l’absence de vie à l’écran est questionnable (s’agit-il de représenter littéralement l’absence au monde de l’adolescent, ou bien d’une direction d’acteurs déficiente de la part de Zeller ?), est sans doute largement explicable par le fait que le véritable du sujet du film est encore une fois la paternité : comme la fameuse scène avec Hopkins l’explicite clairement, il s’agit ici avant tout ici de traiter de la difficulté pour un homme de réussir professionnellement (voire politiquement), d’avoir une vie amoureuse satisfaisante (en remplaçant l’épouse usée par une version plus jeune quand on approche la cinquantaine) tout en assurant un minimum de transmission – d’amour, d’attention, de « valeurs » – à son fils. Du coup, Zeller se fiche bien du malaise adolescent, ne le filme pas, ou si peu, et suscite donc – assez injustement, finalement – l’ire de la critique bien-pensante US qui lui reproche sa neutralité vis-à-vis de ce « sujet de société »…
Le vrai problème du film, c’est plutôt, on l’a dit, ses nombreuses maladresses d’écriture, qui sont bien celles d’un vrai « premier film » : un manque d’audace dans l’adaptation d’une œuvre théâtrale, dont Zeller ne sait pas remettre en question le dispositif ; un recours inexcusable à des flashbacks totalement ringards sous le soleil de Corse ; une fin « à twist » littéralement honteuse, presqu’une insulte à l’intelligence du spectateur. Et puis, c’est un détail, mais c’est la cerise sur un gâteau déjà bien affaissé, une utilisation littérale du fameux « fusil de Tchekhov », qui peut donner au cinéphile l’envie d’éclater de rire au moment le plus dramatique du film…
Sinon, The Son reste un film honnête, beaucoup plus regardable que ne le dit la critique US, en partie d’ailleurs grâce aux efforts – un peu téléphonés quand même – de Hugh Jackman qui essaie à longueur de scènes de prouver qu’il sait jouer autre chose qu’un mutant aux griffes d’acier rétractiles.
Espérons quand même que, comme pour tous les bons groupes de Rock, le troisième album – pardon, le troisième film – verra Zeller revenir en bonne forme, mais surtout ouvrir son Art sur d’autres horizons que le recyclage au cinéma de ses propres pièces.
Eric Debarnot