Dans une Maroquinerie bondée et très impliquée émotionnellement, Gaz Coombes a confirmé – sans que cela ne surprenne personne – l’excellente impression créée par son formidable nouvel album. Une soirée qui remplit le cœur de joie !
Peut-être parce qu’il a sorti en ce début d’année 2023 un album bluffant, ou bien peut-être parce que le souvenir des frasques d’un Supergrass exacerbe notre nostalgie à une époque où peu de groupes jouent encore la carte de la joie de vivre, Gaz Coombes a rempli la Maroquinerie en deux temps, trois mouvements… Ce qui est une bien belle nouvelle pour les mélomanes… enfin ceux qui ont pu avoir une place !
20h00 : C’est au milieu d’une scène littéralement envahie de matériel que s’installent Oly Ralfe – aux claviers – et une jeune femme – à la guitare… les deux formant ce qui est qualifié, non sans humour, de The Ralfe Band… La demi-heure qui va suivre, pourtant calme et mélodieuse, va être clairement source de polémique : d’un côté, il y a ceux qui sont horrifiés, voire morts de rire, devant l’amateurisme d’une autre époque déployé par le duo, multipliant les plantages – littéralement à chaque titre ! -, jouant rarement dans la bonne tonalité, sans même parler de vocaux semi-parlés qui frôlent (de près) la fausseté ; de l’autre, il y a ceux, en majorité, il faut le reconnaître, qui seront enchantés par la qualité des compositions, et l’émotion fragile qui s’en dégage. En fait, les deux points de vue sont recevables, et c’est bien ça qui fait le mystère et le charme de la musique d’Oly Ralfe, par ailleurs originaire d’Oxford comme Gaz…
21h00 : Gaz Coombes et sa bande à lui – 8 personnes au total – sont ce soir plus nombreux sur la petite scène de la Maroquinerie que King Gizzard & The Lizard Wizard au Zénith : un premier exploit pour une soirée qui ne va pas en manquer. On attaque par le superbe Don’t Say It’s Over du nouvel album, Turn The Car Around, immédiatement au maximum de l’excellence (même si on aurait adoré que le set débute par Overnight Trains, curieusement absent de la setlist). Coiffé de son éternel chapeau, barbu, Gaz a gardé à 46 ans le look juvénile des années Supergrass, et provoque toujours en nous cette irrésistible sympathie, grâce à ce mélange de gentillesse et de légèreté qui le caractérise… Il est accompagné de quatre musiciens – le bassiste et le guitariste échangeant leurs rôles à chaque, oui à CHAQUE titre ! – et de trois choristes, cantonnées dans un coin au fond de la scène du fait du manque de place – auprès desquelles Gaz se montrera toujours attentionné.
On enchaîne immédiatement avec le single Salamander, relativement peu connu, mais qui permet, avec son intensité et ses guitares agressives de montrer que Gaz, à qui on reproche régulièrement d’avoir abandonné le fun de Supergrass, sait toujours faire du Rock : « It’s like Heaven ! »… pas encore, mais pas loin. Wounded Egos permet d’apprécier pleinement la qualité du chant de Gaz, et confirme que le set ne sera pas dédié uniquement au nouvel album, mais proposera une balade à travers toute la discographie du chanteur.
Le très reptilien Feel Loop (bon, son sous-titre est Lizard Dream…), avec sa guitare suraiguë et son refrain magnifique est le premier sommet du set – un véritable régal, et, comme sur l’album, débouche sur un Long Live The Strange assez glam. Mais c’est quand il évoque avec amour sa fille, qui souffre d’autisme, dans une version dépouillée – et bouleversante – de The Girl Who Fell To Earth que Gaz remporte clairement la partie ce soir : « You wear your elastic heart on your chewed up sleeve / First you cry and then you laugh » (Tu portes ton cœur élastique sur ta manche mâchouillée / D’abord tu pleures et ensuite tu ris)…
Gaz vient s’asseoir aux claviers tout près des spectateurs : « Je suis vraiment près de vous… », soupire-t-il. « On n’est pas dangereux ! », se sent-on obligé de lui dire, pour le rassurer. « Je sais, je le vois dans vos yeux »… Alors qu’au premier rang, une famille a amené ses jeunes enfants, et que tout le monde semble sourire dans la salle, comment ne pas reconnaître que la musique, quand elle est interprétée avec autant de talent et de cœur, est un formidable remède à l’angoisse du monde ?
Le set se termine sur un Walk The Walk très soul qu’on n’a pas envie de voir finir… Mais on aura heureusement encore droit pour clore cette heure et demie inspirée à une magnifique interprétation solo de Matador (« I’ll take all the pain and the scars of war / ‘Cos I’ll face the Beast and fight like a matador » – Je prendrai toute la douleur et les cicatrices de la guerre / Parce que je vais affronter la Bête et me battre comme un matador : quel texte !), puis à l’envol général très édifiant (dans le bon sens du terme, c’est-à-dire « uplifting !) de The English Ruse, avec son étonnant break vocal où les trois choristes s’en donnent à cœur joie.
Salut de toute la troupe sur scène, et enthousiasme général dans la Maro, où à part les plus punks d’entre nous qui déploreront le soin formel apporté à cette musique « mature », presque classique, le consensus s’était fait sur la maestria déployée par Gaz Coombes. Superbe compositeur, interprète inspiré, il est la preuve qu’après une réussite au sortir de l’adolescence, vieillir n’est pas une malédiction. Et qu’il n’est nullement nécessaire de faire demi-tour avec la voiture…
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot