Mark Russell et Mike Deodato Jr nous offrent une réjouissante et inquiétante dystopie, l’homme peut-il cohabiter avec le robot ? Le maitre avec l’esclave ? Et, plus grave, qui donc est le véritable maître de ce monde ?
En 2056, les robots se sont imposés sur le marché du travail. Chaque famille a été invitée à acquérir un robot domestique qui travaille pour elle. Les humains sont débarrassés de toutes contraintes matérielles. Pour autant, la cohabitation n’est pas aisée. Les humains craignent les mouvements d’humeurs de leurs esclaves, aux bugs dévastateurs, et les robots se savent condamnés à une obsolescence rapide, la prochaine génération d’androïdes étant annoncée.
Nous suivons la famille Walter. Le père croit fermement aux messages gouvernementaux, en fait une émanation du cartel Omni Robotic. Sa femme et leurs deux enfants s’inquiètent et se rapprochent d’un mouvement de résistance, ouvertement complotiste. Or, Razorball, le robot de la famille Walter, dans le garage familial, fourbit des armes. L’ambiance est tendue dans la maison, la peur monte.
Le scénariste détourne habilement le « Not All Men », la formulation de défense masculiniste employée en réponse au mouvement #MeToo. Or, ce titre est un piège, certes tous les robots ne sont agressifs, mais dans une société ultralibérale, dirigée de fait par une unique et toute puissante multinationale, nous sommes tous, ou presque, des robots. Les humains et les robots tentent de préserver leurs petits privilèges en s’opposant entre eux, sans comprendre qu’ils sont asservis et manipulés par les puissants du moment. Mark Russell mêle diaboliquement nos peurs contemporaines, la peur de l’étranger et la peur de l’obsolescence, aux luttes sociales, à la manipulation des médias et à la toute-puissance des GAFA. Laissons-le conclure : « Lorsqu’elle est maîtrisée, la fiction est un exercice d’empathie contrainte. »
Le travail de Mike Deodato Jr, un pur produit de l’écurie Marvel, est plaisant. Son dessin réaliste et son découpage inventif imposent son monde futuriste. Par un travail sur la posture, il parvient à prêter des sentiments à ses robots sans visage et à « humaniser » Razorball, le véritable héros du comic. Admirez le couple de fermiers de la couverture, une réinterprétation d’American Gothic de Grant Wood.
Stéphane de Boysson