Si le phénomène de l’addiction aux réseaux sociaux mérite un film ou une série à la mesure du défi qu’il représente, ce ne sera pas encore ce Red Rose qui osera le traiter. Reste une petite série horrifique plutôt sympathique, bien ancrée dans la réalité de la vie quotidienne dans le Nord de l’Angleterre.
L’influence du smartphone et en particulier des réseaux sociaux, que l’on peut considérer comme de plus en plus désastreuse, sur le comportement humain est un sujet passionnant, que le cinéma semble craindre d’aborder, sans doute parce qu’on imagine qu’il est difficile de rendre cette addiction tellement universelle « cinématographique ». C’est donc la plupart du temps via le thriller que la thématique est abordée, et ce sera encore le cas dans cette série britannique, Red Rose (que l’on doit aux jumeaux Clarkson, déjà impliqués dans des projets plus standard comme See, la Roue du Temps, mais aussi dans The Haunting of Bly Manor de Mike Flanagan) qui va nous raconter comment une mystérieuse App, « Red Rose », envahit le quotidien d’adolescents pour les pousser au suicide… Même si, bien sûr, et finalement heureusement, les choses se révèlent bien plus compliquées que ça, au fur et à mesure des progrès d’une enquête menée par une petite bande de lycéens qui se surnomment eux-mêmes les « Dickheads » (les « glands » en français !).
Les aficionados, dont nous sommes, de la télévision britannique savent que, quel que soit le sujet de la série, on rencontrera des personnages plus « vrais » que dans les produits US habituels, des accents savoureux, et un ancrage dans la réalité sociale du pays. Et que le casting apportera son quota de « gueules » cassées, d’interprétation touchantes. Red Rose ne déroge pas à cette règle, et le plaisir de voir nos adolescents vivre au quotidien à Bolton, banlieue à la fois proprette et sinistrée de Manchester, nous permettra de passer outre un certain nombre de clichés des séries « teens » dont on se serait bien passés. Père violent, mère alcoolique, difficulté de révéler son homosexualité, complexes vis-à-vis de son poids… chaque membre de la bande lutte contre ses propres démons… et c’est bien sûr grâce à ces failles, voire ces fractures, que le jeu manipulateur de « Red Rose » peut provoquer les dommages les plus graves : en brisant les amitiés, en caressant dans le sens du poil les comportements narcissiques, pervers ou haineux que nombre d’entre nous développent sur les réseaux sociaux, c’est à une destruction de la confiance en soi des adolescents que l’on aboutit, puis à une rupture du lien social, un isolement conduisant à des désirs suicidaires.
Et pourtant, après une introduction horrifique très efficace, la première partie de Red Rose peine à nous séduire, tant du fait d’excès de stéréotypes que par son recours à des raccourcis scénaristiques qui choqueront ceux pour qui un thriller efficace se doit avant tout d’être crédible, cohérent. C’est, assez paradoxalement, à partir de la rupture du cinquième épisode que l’on accroche vraiment : d’abord grâce à un sixième épisode (Results Day) qui prend (enfin !) le temps d’approfondir les protagonistes en développant leurs interactions familiales, et ensuite grâce à une accélération finale excitante (… en dépit de nouvelles invraisemblances du point de vue géographique et temporel, il faut le souligner…) et à une explication plutôt satisfaisante de l’énigme de « Red Rose »…
Il nous reste à espérer que la conclusion du huitième épisode, assez intelligente, ne soit pas l’annonce d’une seconde saison où la menace de « Red Rose » deviendrait globale – alors que ce qu’on aime le plus dans la série, c’est son ancrage géographique local -, mais simplement un avertissement bien venu… On peut recommander le visionnage de Red Rose, en regrettant qu’elle n’ait pas été un peu plus soigneusement écrite, et surtout plus ambitieuse.
Eric Debarnot