En dépit de quelques maladresses, Esterno Notte réussit à ressusciter l’atmosphère des Années de Plomb italiennes et n’a rien à envier aux réussites cinématographiques de Bellocchio. (Avis avec SPOILERS)
Présentée à Cannes, Esterno Notte fut d’abord proposée au cinéma en deux parties en Italie avant d’être diffusée en six épisodes sur la RAI. D’un point de vue formel la série est d’une tenue égale aux derniers longs métrages de Bellocchio. Après avoir dépeint de l’intérieur la prise en otage et l’assassinat du Président Aldo Moro dans le long métrage Buongiorno Notte, Bellocchio tente sur cette mini-série de près de six heures de proposer une vue « de l’extérieur » de cet évènement. Et cette fois brosser une perspective d’ensemble des Années de Plomb. Moment qui avait déjà irrigué le cinéma italien dans les années 1970 via l’ambiance insécuritaire des polars d’époque et les complots d’Etat des films de Rosi.
Basé sur une histoire vraie
En premier lieu, on remarquera cet écriteau indiquant que la série n’a pas totalement à voir avec la réalité historique. Point révélateur d’une différence entre l’Europe et Hollywood qui, sous couvert de based on a true story, n’a aucun complexe à romancer le réel sans même le signaler. Ce qui n’empêche pas la série de poser son caractère fictif dès la séquence d’ouverture : le Président démocrate-chrétien du Conseil Andreotti, le Ministre de l’Intérieur Cossiga et le chef de la Démocratie Chrétienne Zaccagnini viennent voir à l’hôpital un Aldo Moro libéré par les terroristes des Brigades Rouges. Ce dernier leur annonce son retrait de la vie politique. Séquence rêvée qui ne sera pas la seule de la série. Au même titre que certains traits d’humour révélateurs de l’époque, ces séquences apporteront au récit des ruptures de tons. Et ne seront pas forcément toutes réussies.
Chorale à cinq
La série adopte lors de ses cinq premiers épisodes un principe choral : chaque épisode sera centré sur le point de vue d’un des protagonistes de la tragédie. Le premier épisode dépeint le rêve d’Aldo Moro d’un gouvernement dépassant les fractures nationales grâce à un soutien sans participation des Communistes. Comme en France dans les années 1960, le PC connaît alors en Italie son âge d’or électoral. Contrairement à son frère français, il s’est distancé de Moscou. Cela n’empêche pas les projets d’Aldo Moro d’inquiéter les Etats-Unis. Moro incarne ici un manœuvrier virtuose du système politique italien, sans le cynisme d’un Andreotti. Sur ce point, le Andreotti de Bellocchio ne diffère pas de celui campé par Toni Servillo dans Il Divo. Et dans les deux cas la vie politique italienne est présentée comme ce qu’elle est longtemps restée : une farce.
Farce à l’Intérieur
La farce, on la retrouvera dans le second épisode centré sur Cossiga : sous le choc du kidnapping de Aldo Moro, ses collaborateurs lui proposeront des solutions inénarrables pour gérer la crise. L’agent américain conseillant Cossiga ressemblera quant à lui le long de la série à une caricature de l’arrogance des personnages de blockbusters d’action hollywoodien des années 1980. Et il y a Cossiga lui-même, dépassé par les évènements, résigné à sa démission quelle que soit l’issue de la crise. Cossiga qui consulte un psychiatre entre autres à cause de ses problèmes liés à un mariage arrangé. Le troisième volet concerne les tentatives du Pape Paul VI (campé comme un écho à Il Divo par Servillo) de faire libérer Moro quitte à utiliser du cash pour cela. Ainsi que certaines interventions de membres du clergé dans la crise. Le clou de l’épisode est la séquence où le Pape rêve de son ami Moro faisant un chemin de croix, assistés de lieutenants politiques. Moment qui rappelle la capacité du meilleur cinéma italien de l’âge d’or à flirter avec le ridicule sans tomber dedans.
La Terroriste et la Première Dame
Centré sur la Brigadiste Adriana Farranda, le quatrième épisode effleure ses thèmes sans les creuser : excitation procurée par les armes à feu, difficulté d’une femme à être légitime dans l’univers macho des Brigades Rouges, sentiment de trahison pour avoir suivi un compagnon qui ne croyait pas au succès de la lutte… Avec en sus une référence maladroite à La Horde Sauvage pour appuyer le propos. Le retournement de Farranda suite à la vindicte populaire contre les actions des Brigades Rouges est amené grossièrement par le récit. Cet épisode est surtout celui de l’échec de Farranda à convaincre les idéologues du mouvement de sauver Aldo Moro. Le cinquième épisode convainc plus rayon portrait de femme, dépeignant les contradictions de l’épouse de Moro. Alors qu’elle trouvait son compagnon trop distant, l’enlèvement ravive chez elle les sentiments passés pour son mari. A côté de cela, cette femme très pieuse regarde les Brigadistes avec une compassion chrétienne. Et en voyant les membres du parti qualifier publiquement de fous les communiqués de son mari détenu, elle comprend que derrière la posture ferme contre les terroristes se cache un non-intérêt politique de beaucoup d’entre eux à voir Moro revenir vivant. Voir un professeur et des étudiants rejouer la détention de Moro comme un vulgaire coup de boule de Zidane est ici un moment drôle et très gênant, révélateur de l’attitude de certains face à l’évènement. Après ce récit choral, le dernier épisode sera principalement celui de l’exécution du sort scellé par le quatrième épisode et de la fin d’époque qu’il implique : celle de l’âge d’or de la Démocratie Chrétienne.
Esterno Notte évoque la grandeur passée du cinéma italien. De l’âge d’or de la Cinecitta, il a conservé le goût des ruptures de tons comiques, l’art de mêler l’intime et la grande histoire et une durée permettant de s’immerger totalement dans une époque. Mais un tel projet a dû passer par la case télévisuelle pour se concrétiser.
Ordell Robbie