Vous n’aimez ni les vigilantes, ni les super-héros ? Pas de problème : Les Grimaciers offre une version réaliste, triviale presque, et superbement italienne d’une histoire qui n’est finalement pas si stéréotypée que ça !
A priori, on commence à être un peu saturés d’histoires de « vigilantes » décidant de rendre eux-mêmes cette justice que la société n’assure plus : entre les insupportables super-héros dont les jeunes générations sont friands, et les encore plus insupportables « justiciers dans la ville » façon Bronson (pour les origines) ou Liam Neeson, chéris des boomers écoutant leurs instincts réactionnaires, il n’y a pas grand-chose à sauver. Et puis ce débat vieux comme le monde entre justice individuelle, s’apparentant souvent à de la basse vengeance (le revenge porn, lui aussi toujours à la mode depuis l’ignoble Vieux Fusil de Robert Enrico dans les années 70) et justice institutionnelle, on en baille à l’avance.
Si l’on ajoute le dessin de Luca Albanese, très brouillon, rendant de nombreuses scènes – en particulier celles d’action pure – presque illisibles, on a peu de raisons a priori de se passionner pour ces Grimaciers, récit (se passant dans les années 90) de la création d’une bande de justiciers amateurs luttant contre la Camorra et la corruption généralisée dans une ville de Naples qui semble ne jamais cesser de sombrer. Et pourtant, pourtant, Les Grimaciers s’avère une jolie petite réussite, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, le livre traite d’une situation tragique bien réelle, la gangrène que représente pour le sud de l’Italie la toute-puissance de la Camorra, et l’on imagine bien que le ras-le-bol de la population qui engendre l’envie de « prendre les armes » soi-même face à la démission du système politique et policier italien.
Ensuite, Les Grimaciers adopte les codes – infiniment plus séduisants que les pyjamas de couleurs et les capes des justiciers US – de la Commedia Dell Arte, dans une atmosphère théâtrale, joliment exacerbée, qui enrichit notablement la noirceur du polar : on aurait d’ailleurs préféré une véritable mise en couleurs au lieu du sépia ou du bleu foncé monochromes qui règnent ici, des couleurs vives répondant mieux à l’atmosphère ensoleillée de l’Italie, et à la fantaisie des personnages principaux.
Enfin, la belle idée de Cheero Deemartsio est d’assimiler cette révolte de l’homme ordinaire à une simple crise de la quarantaine : fatigué par sa vie conjugale, affrontant une vie professionnelle frustrante, Luigi – le protagoniste principal – décide de vivre de nouvelles aventures, qu’elles soient « policières » ou sentimentales. Il est saisissant de voir le même homme faire preuve d’autant de courage, voire d’inconscience, face aux mafieux et aux policiers ripoux, que de lâcheté devant son épouse et son enfant, qu’il abandonne peu à peu…
Si le twist final – d’ailleurs joliment illustré dans les dernières pages, avec une dose de symbolisme bien venu – ne sera probablement pas une véritable surprise pour le lecteur aguerri, le scénario dans son ensemble fonctionne parfaitement, avançant habilement via des narrations en parallèle très cinématographiques… Ce qui fait que l’on referme Les Grimaciers avec le sentiment d’avoir découvert deux jeunes auteurs que l’on suivra désormais avec intérêt.
Quant à la Camorra, aux dernières nouvelles, elle se porte toujours très bien… malheureusement.
Eric Debarnot