Consacré au single inaugural du groupe mancunien, The Smiths – Hand In Glove est le récit aussi court que documenté de la naissance d’un mythe du rock anglais.
C’est donc d’une commande éditeur que provient le livre de Nicolas Sauvage consacré au premier single des Smiths. Comme il l’écrit, ce dernier n’était pas sûr de vouloir ajouter quelque chose à sa somme de 600 pages sur Morrissey. C’est oublier que, sans nier que le Moz soit une personnalité à part dans l’histoire de la pop anglaise, les Smiths ont quelque chose de plus : une alchimie chanteur/guitariste digne de Mick et Keith qui ne se serait pas abîmée dans le ou les albums de trop, un son reconnaissable entre mille devant autant à la section rythmique qu’à un guitariste ayant depuis travaillé pour Christopher Nolan et la franchise 007.
La vision déjà affirmée de Morrissey
Le livre a les qualités déjà lues chez Sauvage : savoir raconter la légende en marche, contextualiser une figure artistique par rapport à la scène musicale de son temps, faire preuve d’un souci maniaque du détail. Avant de parler de la genèse du single puis de l’analyser, il évoque la naissance des Smiths. Concernant le punk comme quelque chose faisant venir Morrissey au monde et plus globalement à propos de sa formation musicale, il fait en partie double emploi avec que Sauvage a déjà écrit. Mais Sauvage fait des locaux Buzzcocks un précurseur du rapport distancié de Morrissey aux clichés du rock’n’roll en rappelant que le Moz a repris Devoto sur scène. Il souligne qu’en chroniquant un concert des Nose Bleeds, groupe dont le Moz fut membre un temps, le légendaire rock critic Paul Morley parlait de Morrissey comme quelqu’un ayant compris que le rock était affaire de magie. Sauvage évoque de plus l’arrivée de Morrissey sur la scène musicale à un âge où ses contemporains Robert Smith et Ian MacCullough y sont déjà bien installés… mais avec une vision artistique déjà claire qui se manifestera entre autres par l’iconographie des pochettes des Smiths. Sur la supposée identité gay du groupe, on sourira de savoir que Marr avait déjà identifié cette communauté comme un public potentiel du quatuor.
La route sinueuse de Marr vers la grandeur
Les passages consacrés à Marr rappellent de plus que la construction d’un grand morceau est parfois un chemin tortueux. Si Marr mentionne Rebel Rebel comme une des inspirations du riff d’Hand in Glove, ce dernier semble avoir été trouvé sa première forme dans une version évoquant le travail de guitariste de Niles Rodgers. L’ombre de Chic sur le futur Babarism begins at Home n’était donc pas accidentelle. Le morceau prendra forme sur un terrain plus rock sous l’impulsion de la compagne de Marr adoratrice d’Iggy Pop.
Un morceau résumant tout ce que seront les Smiths
Le texte est décrit comme un résumé de ce que sera l’aventure Smiths : affirmation à l’arrogance assumée du caractère unique de cette dernière, conscience dès le départ qu’elle n’est pas vouée à durer. Et il faut la maniaquerie de Sauvage pour y débusquer une inattendue citation/détournement de Leonard Cohen : le And everything depends upon how near you stand to me en écho au And everything depends upon how near you sleep to me de Take this longing. Coup d’essai/coup de maître, le morceau incarne une exigence artistique hors du commun que confirmera This Charming Man. La face B du single, une version live de Handsome Devil lors du mythique concert de la Hacienda, est l’occasion d’évoquer les futures controverses suscitées par Morrissey parolier. Mais aussi la furia scénique du groupe dès ses débuts. Enfin, Sauvage met en exergue quelque chose qui se retrouvera tout le long de la carrière du groupe : des Faces B en remontrant à bien des Face A de leurs contemporains.
Ce court livre s’achève sur l’amertume liée à l’échec du single… et sur la version Sandie Shaw du morceau représentant à la fois un hommage à une idole sixties de Morrissey et un succès dans les Charts britanniques en forme de revanche posthume. Le livre offre cependant une cerise sur le gâteau : la préface de Jean-Daniel Beauvallet, indispensable témoignage de ce que c’était de découvrir Hand in Glove à sa sortie en Angleterre et de la ferveur collective du concert de la Hacienda. Une lecture exécutant avec talent un travail de passeur tout en ayant un intérêt pour les fanatiques du groupe.
Ordell Robbie