A travers le portrait d’un journaliste qui va être licencié après 30 ans de bons et loyaux services à MondoNews, Eric Faye porte un regard à la fois ironique, lucide et désespéré sur le monde du journalisme et les importantes mutations que connait ce secteur d’activité aujourd’hui.
Tout le monde a encore en mémoire la petite phrase de Macron, qui, en 2018, durant les journées européennes du patrimoine, avait répondu à un chômeur, lui expliquant ses difficultés pour trouver du travail : « je traverse la rue, et je vous en trouve un d’emploi ». Une petite phrase restée tristement célèbre, qu’a repris à son compte l’écrivain Eric Faye comme titre pour son 12e roman, Il suffit de traverser la rue.
Un titre, on l’aura compris, plutôt ironique pour raconter l’aventure professionnelle d’Aurélien Babel, un journaliste de l’agence (fictive) MondoNews, au moment où une restructuration va avoir lieu dans son entreprise. Notre homme de 57 ans apprend ainsi que des services vont être supprimés ou délocalisés dans des pays de l’Est, ou même en Inde, là où le coût de production est beaucoup moins élevé.
Durant tout le roman ou presque, le personnage principal, inquiet de l’évolution de sa situation, raconte ses états d’âme, la manière dont il voit ces changements dans son entreprise et plus largement dans le Monde actuel, contraignant certains employés à quitter le navire… mais pas les mains vide, si possible. Quant aux autres, ils vont devoir se plier aux nouvelles méthodes, accepter un management plus pervers, des réductions budgétaires et ne plus compter sur tous ces petits plus qui agrémentent le quotidien de chacun. Comme beaucoup, les salariés de MondoNews vont devenir des victimes collatérales de la mondialisation et du capitalisme forcené qui gangrènent petit à petit la planète.
Rien de bien neuf, dans le Monde décrit par Eric Faye, tant depuis des années, la presse, les médias ou le cinéma nous racontent, chacun à leur manière, comment des tas d’entreprises sont démantelées, délocalisées, avec des employés dépossédés de leur outil de travail et contraints de changer de métier dans le meilleur des cas.
Ce qui fait tout le sel et l’originalité du roman d’Eric Faye, c’est le ton avec lequel l’auteur décrit de façon très précise et avec un certain humour – qui pourra rappeler par moment l’univers de Houellebecq mais aussi celui de Jean-Paul Dubois – combien tous les secteurs sans exception peuvent être touchés par ces restructurations. Un métier comme le journalisme, que l’on a longtemps pensé à l’abri de ce genre de mésaventure avant qu’internet s’installe dans tous les foyers, est, lui aussi, touché par des problèmes liés à la productivité et la rentabilité. Un domaine que l’auteur connaît évidemment bien puisqu’il a été par le passé journaliste dans une agence de presse internationale.
Eric Faye montre aussi combien ces employés, issus d’une classe moyenne supérieure, peu armés pour lutter face à ce type de méthode, sont incapables de se mobiliser, de se rassembler, de s’unir pour faire front. Et dans ces cas-là, c’est souvent le chacun pour soi qui prime. Un roman à la fois drôle et tellement réaliste qu’il en devient désespérément absurde.
Benoit RICHARD