Clavicule évite élégamment l’écueil du second album, version copiée-collée du premier en moins inspiré : Full Of Joy a su garder la radicalité de Garage is Dead, mais gagne en variété et en profondeur. Une nouvelle réussite des Rennais furieux…
S’il y a un peu moins de 3 ans, les Rennais de Clavicule faisaient le constat que « le garage rock était mort » (sans en penser un mot !), ils nous reviennent cette fois « remplis de joie » : faut-il les croire cette fois-ci ? Pas certain, si l’on en croit des titres de chansons comme Painkillers ou Destroy Me Again ! La magnifique pochette qui enveloppe le bel objet qu’est ce second album de l’un des groupes phares de la scène indépendante française – il suffit de les voir sur scène pour en être absolument convaincus – est d’ailleurs relativement explicite à ce sujet : la joie et la beauté que vous avez en vous peut littéralement vous faire exploser, vous tuer, non ?
Par rapport au déjà excellent Garage is Dead, on reste ici dans une veine similaire, de combinaison de punk rock, de rock psyché et de… garage rock, donc : toujours aussi violente, toujours aussi furieuse, la musique de Clavicule continue à s’ouvrir aux styles musicaux adjacents. Plus traditionnellement punk rock à certains moments, avec des riffs rapides, tranchants et mélodiques (I Will Let You Know est une véritable merveille, une cavalcade effrénée mais lumineuse !), plus psyché ou grunge à d’autres (Destroy Me Again, qui peut évoquer le Nirvana des débuts, en moins accablant quand même…), voici un autre album parfaitement satisfaisant.
Même si l’on peut toujours chicaner sur les vocaux, qui ne sont toujours pas le point fort du groupe, les textes des chansons prennent de l’importance (enfin, si, occupés à pogoter frénétiquement comme on est, on veut bien les écouter !) : les musiciens de Clavicule sont des jeunes gens de notre époque, et sont comme chacun d’entre nous préoccupés par la situation de la planète, par les conflits qui déchirent notre monde, et par la souffrance que nous pouvons ressentir par rapport à tout ça. Attention, on n’est pas dans le prêchi-prêcha à la U2, mais dans la reconnaissance que le Rock, même – ou surtout – lorsqu’il est violent et brutal, est porteur d’un véritable sens. Et est une musique intime, qui parle personnellement à ceux qui l’écoutent, qui ne peut pas se contenter de stéréotypes généraux sur l’amour et la réussite sociale.
Le morceau le plus caractéristique de cette approche ambitieuse de la musique est Wilted Flowers, sorti en amont de l’album : plus de sept minutes de rage grunge, dérivant sur des notes orientalisantes, pour fustiger – aidé en cela par un clip vidéo complexe de Killian Eon – l’inaction générale par rapport aux dommages irrémédiables causés par l’humanité aux écosystèmes. Ceci dit, on peut préférer quand même le plus radical Rockets, avec une explosion finale qui frôle l’exceptionnel, et qui réussit à transcrire sur vinyle la force irrépressible du groupe en live : le genre de titre qui prouve que le groupe en a vraiment sous la pédale…
Terminons sur une note humoristique – car les musiciens de Clavicule ne manquent surtout pas d’humour, et savent rester positifs même en consacrant un album comme ce Full of Joy aux aspects les plus enrageants de notre époque : le groupe peut concourir sérieusement à l’oscar du meilleur titre de chanson de 2023, avec Queen Blizzard & The Sitar Guitar. Cette chanson, clin d’œil aux maîtres australiens du psychédélisme – évoqué à travers des accords orientaux se mêlant aux riffs de guitare les plus brutaux –, montre en tous cas la versatilité de Clavicule. On peut attendre sans crainte un troisième album qui aille encore plus loin et matérialise tout le potentiel des Rennais !
Eric Debarnot