« Fuzz et Pamplemousse », ça sonne comme la recette d’un bon cocktail rock festif, et c’est à peu près l’ambiance qui régnait hier soir au Trabendo : du fuzz à foison et un rock acidulé juste comme il faut ; en bref, une explosion savoureuse et furieuse.
Ce sont les deux Réunionnais de Pamplemousse qui ont ouvert la soirée avec un son noisy, brut et sans fioriture, mais efficace. Sarah Lenormand s’affaire à cogner des rythmes crus sur une batterie qui ne s’embarrasse pas d’artifices, quand son acolyte Nicolas Magi embrase sa guitare sur des riffs aussi secs que fracassants. Oscillant entre hurlements et chants non moins virulents, le guitariste s’enflamme sur scène, les deux sont heureux d’être là et c’est plaisant à voir. Formant auparavant un trio, les deux compères officient désormais sans bassiste, ce qui donne à entendre un son claquant et nerveux, mais on ne refuserait pas une basse à cette formation quelque peu spartiate, ne serait-ce que pour densifier des rythmes certes puissants, mais relativement simples. Il n’en reste pas moins que le duo a parfaitement fait le job en faisant furieusement monter la température, histoire de ne pas se prendre à froid le revers que Fuzz s’apprête à nous flanquer.
On connaît l’engouement autour du personnage de Ty Segall, et cette date à Paris, initialement prévue en 2022, affiche complet depuis bien longtemps. Résultat : une salle pleine à craquer pour voir le Californien et ses deux acolytes retourner le Trabendo hier soir. Il n’y a qu’à constater avec quelle joie le public accueille le multi-instrumentiste qui, pour Fuzz, officie à la batterie, au moment où il pénètre sur scène pour ajuster ses toms alors que le concert n’a pas commencé. C’est ensuite naturellement une ovation qui accueille le trio, les premiers accords n’ont pas encore sonné que le sol tremble déjà, et c’est le sourire aux lèvres que Ty Segall, Charlie Moothart (guitare) et Chad Ubovitch (basse) entament leur performance sur un Let It Live fracassant. Par « performance », on n’entend pas seulement leur présence sur scène, mais bien la maîtrise époustouflante de leurs instruments et de leurs compositions. Un guitariste, un bassiste et un batteur : sainte trinité du rock qui renoue ici délicieusement avec les racines du genre.
La recette de Fuzz est à peu près la même sur chacun des morceaux, mais on ne trouve rien à y redire quand on la voit si bien exécutée. L’ensemble du concert prend une allure de longue jam quasi ininterrompue, où batterie et basse frappent à l’unisson les rythmes autour desquels s’enroulent les riffs incandescents de la guitare de Charlie. Il y a bien quelques titres que le public attend, mais il n’y a finalement pas tant besoin de connaître la discographie du groupe, ni même le génie de Ty Segall, pour prendre son pied face à une telle célébration joyeuse, furieuse et virtuose du rock.
Ty Segall s’est fait connaître à la guitare, et inversement pour Charlie, mais le jeu du frontman à la batterie n’en est pas moins remarquable et saisissant à observer. Le son du Trabendo ce soir-là a par ailleurs rendu honneur à la puissance de frappe des musiciens, les pogos n’ont jamais tari, bien au contraire ils n’ont fait que croître, tout comme les slammers qu’on ne pourrait énumérer. Et ce qu’on ne peut pas dénombrer non plus, ce sont les sourires sur les visages des spectateurs, tous emportés par une fièvre enivrante et ébouriffante. C’en est presque déconcertant de constater avec quelle facilité les musiciens emportent l’adhésion, tout est impeccable et précis mais ne manque jamais de communiquer une énergie délirante, sans que rien ne soit jamais forcé. Les envolées rythmiques et harmoniques sont lourdes, mais c’est le cœur léger qu’on exulte face à une écrasante maîtrise d’un mécanisme bien huilé.
Il y a bien quelques points d’orgue à relever pendant le concert, ne serait-ce que Loose Sutures et son solo de batterie jubilatoire ou le gigantesque Raise, mais la tendance était plutôt au paroxysme constant. Ne ralentissant que pour mieux négocier une montée abrupte, les trois musiciens n’ont eu de cesse de faire frapper du pied et secouer les têtes de son public. C’est d’ailleurs le moment d’adresser nos sincères pensées aux valeureux soldats ayant bravé le moshpit plus d’une heure durant (une côte aurait été fêlée durant la bataille), mais surtout aux tympans des malheureux qui n’auront pas protégé leurs oreilles : Fuzz, et le nom ne pourrait pas être plus explicite, c’est du rock qui se joue fort, très fort.
Les mâchoires sont crispées à force de sourire, les cervicales endolories à coups de headbangs et les pieds meurtris, mais l’extase n’est pas prête de retomber, pas avant qu’on ait eu l’occasion d’entonner, ou plutôt de crier « Say Hello » sur le titre du même nom où se déchargent une guitare et une basse plus agressives que jamais, la voix frisante de Ty Segall et les chœurs vrombissants du public.
Le set, d’une qualité irréprochable, se clôt sur un What’s in My Head fidèle au niveau et à la puissance de ce qui l’a précédé. Le public déborde de joie et de gratitude alors que se dissipent les derniers accords et battements du morceau, mais pas question pour le Trabendo de désemplir ne serait-ce qu’un peu après un peu plus d’une heure de set. La surexcitation du public aura raison du retour du trio sur scène, pour nous offrir une apothéose digne de ce nom, achevant de fendre les corps avec fracas.
Les trois acolytes de Fuzz auront dérouillé bien des articulations. On se souviendra qu’on a fêté le Rock ce soir-là, celui qui donne des bleus et des acouphènes, celui dont on ne se lasse jamais quand il est si bien mis à l’honneur.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil