Une poignée de chansons supplémentaires extraites des sessions ayant donné naissance au Monde Réel : quelques belles choses, d’autres plus dispensables, en attendant un retour de Dominique A à des choses plus risquées, plus marquantes…
On est parfaitement conscient qu’on va se fâcher avec les « vrais fans » de Dominique A, dont on pense d’ailleurs faire partie, en affirmant que son album le Monde Réel est l’un de ses moins bons. Son moins bon, même. Quasi impossible à écouter dans son intégralité, à notre avis : un disque interminable, d’un calme qui frôle le soporifique, souffrant d’orchestrations inutilement complexes et à la limite de la prétention, et pauvre en mélodies notables. Il restait bien sûr un chant majestueux, dont on peut penser qu’il s’améliore avec l’âge, et les textes, comme d’habitude passionnants, et qui placent le grand Dominique parmi les tout meilleurs compositeurs en langue française.
Peu d’attentes, donc, de notre part vis-à-vis de cet EP qui sort presque par surprise : huit morceaux (six en fait puisque le Dénouement n’est guère qu’un drone orchestral de 35 secondes, et le Retournement une pièce électronique minimale de moins de deux minutes) que l’on nous dit tirés des mêmes sessions que celles qui ont donné lieu au Monde Réel… Même si le fait que ces titres aient sans doute été exclus de l’album parce qu’ils venaient « d’ailleurs » (un monde « lointain », peut-être imaginaire, plutôt que tragiquement « réel », dont on n’avait eu que des « nouvelles » dans l’album lui-même…) rehausse notre niveau d’intérêt…
Et les vagues et les regrets, en ouverture, est une jolie réussite mélodique – justement ce qui manquait au Monde Réel -, un titre qui nous élève et nous séduit d’emblée (« Les traînées blanches dans un ciel / qu’on ne pourra pas remplacer / Prenons place dans la nacelle / Regardons passer la fusée… »). La fadeur et l’intensité débute dans un registre des plus habituels à Dominique A, avant d’aller dériver de manière étrange dans une ambiance électronique-SF qui a le mérite de nous désarçonner. Les yeux dans soleil (oui, sans « le », mais pourquoi ?) est le second grand moment de cet EP : « J’étais épris de précipices / Nombre de cimes semblaient à ma portée / Un peu de sang sur la piste / et on saurait me retrouver » (des phrases quand même décalées par rapport à la sagesse du travail actuel de l’artiste…). Et la manière dont il est traversé par la foudre électronique est saisissante.
Chaque enfant dans son monde part d’une phrase intéressante (« Chaque enfant dans son monde / en entrant dans la cour / Nous oublie déjà ») posée sur une boucle électronique, mais n’en fait finalement pas grand-chose, et semble s’effondrer sur lui-même après un texte récité sur une construction sonore abstraite peu convaincante. C’est néanmoins le dernier titre réussi du EP, qui se délite ensuite sur les morceaux les moins stimulants de la sélection : la Plaine peut à la rigueur impressionner par l’ampleur de la vision qu’il offre, sur des arpèges à la Cohen (« On nous voit venir de loin / couvés par le ciel / sur la longue route / entre les chants de blé »), mais Maison d’ambre passe sans laisser de traces dans notre mémoire.
Bref, même si l’on apprécie l’exercice de l’EP chez Dominique A – on se souvient du sommet qu’avait constitué son EP du confinement en 2020, Le Silence ou Tout Comme -, il ne s’agit nullement cette fois d’un travail indispensable, mais d’une coda intéressante à une œuvre un tantinet laborieuse. On attend maintenant que Monsieur Ané reprenne sa guitare électrique et ses pédales d’effets, ou bien se concentre sur ses machines, mais surtout ait envie d’écrire à nouveau des chansons, des vraies.
Eric Debarnot