Compte-rendu enthousiaste mais objectif de la première soirée (sold out) des deux prévues à l’Olympia : les Pixies confirment leur importance – dont personne ne doutait d’ailleurs – et semblent désormais prendre du plaisir sur scène. Pourquoi pas ?
Quand on va voir les Pixies – que l’on a le droit considérer comme l’un des plus grands groupes de l’histoire du Rock, tant par leur impact sur l’évolution de la musique que par la qualité des chansons qu’ils ont écrites en 4 années magiques, entre 1987 et 1991 – sur scène, on sait à quoi s’attendre : de longs tunnels, sinon d’ennui mais au moins de manque de passion, quand ils vont interpréter leurs chansons récentes, et de formidables moments d’excitation quand ils nous offriront des extraits de leur répertoire de la « première époque » du groupe. Et les deux points qui attirent le plus de critiques de la part de leurs détracteurs : des musiciens sans jeu de scène, anti-spectaculaires au possible, et absolument zéro communication avec le public.
Quand on sort d’un concert des Pixies, le plus grand sujet de conversation – peut-être le seul qui soit pertinent – est la composition de la setlist. Enfin, quand on parle de setlist, le mot n’est plus approprié, depuis qu’on a réalisé que la constitution du set est improvisée « sur le vif » par Frank Black qui s’amuse à plonger ses collègues – et les techniciens du son et des lumières qui doivent s’arracher les cheveux pour réagir au quart de tour ! – dans la confusion. Cette approche pour le moins originale débouche sur des solutions d’enchaînement ou de positionnement des chansons parfois assez contre-intuitives. Mais on va y revenir…
20h00 : C’est à l’ex-punk bien énervé, Jacob Slater, qui officie désormais sous le nom Wunderhorse que revient la responsabilité d’allumer la mèche de la soirée. Même si Slater prétend avoir été inspiré par Neil Young, c’est beaucoup à Thom Yorke et Radiohead que l’on pense sur certains morceaux du set, qui ont une complexité finalement assez prog-rock. Les trois musiciens autour de Slater sont particulièrement pertinents, dégageant une énergie explosive, et déployant un jeu de scène nerveux et excitant. Slater a une très bonne voix, et part régulièrement en vrille, se mettant à hurler avec une belle conviction. Peut-être a-t-il un peu trop tendance à se prendre au sérieux, à jouer le rôle de l’artiste ténébreux, frisant l’arrogance. Bah, les membres de Wunderhorse sont jeunes, et ils ont le temps d’apprendre à sourire et à communiquer avec leur public. En tout cas, ils jouent une musique originale, que l’on pourra même qualifier d’exigeante. A suivre, donc…
21h00 : Nous sommes est donc partis pour deux heures de set, sans rappel et montre en main (on sait bien qu’à onze heures, ce sera le couvre-feu). Deux heures sans un break entre deux morceaux (bon, de temps en temps il faudra réaccorder les guitares…), et sans un mot au micro. Deux heures souvent intenses, avec de fortes poussées de fièvre régulières… même s’il faut bien admettre qu’on est désormais loin de la furie, de l’hystérie des débuts.
En 2023, le gros atout des Pixies, c’est Paz Lenchantin : une basse titanesque, dans la ligne de ce que faisait Kim Deal, mais en plus assuré, plus « professionnel », une basse qui définit clairement l’essence de la musique du groupe, plus encore finalement que les sonorités stridentes de la guitare de Joey Santiago. Mais Paz, c’est aussi – et peut-être surtout – une présence rayonnante sur scène : un visage illuminé du plaisir de jouer, un charme immanquable de rockeuse, et même, si, si, un (petit) jeu de scène ! Du coup, comme si elle l’avait contaminé, on a trouvé Frank Black beaucoup plus détendu, allègre, souriant même parfois après avoir passé l’une de ses instructions-surprises dans le micro destiné à cet effet et placé derrière lui ! Les Pixies auraient-ils découvert le fait qu’on peut s’amuser sur scène ? Bon, pas Joey Santiago, qui reste aussi sinistre qu’il l’a toujours été, rassurez-vous !
Bon, et alors, cette setlist ? Des choix discutables, comme le fait de placer tôt dans le set un Vamos incendiaire (quel bonheur, à chaque fois, bon dieu !), alors que c’est quand même une manière idéale de clore un concert. Et puis l’enchaînement sans rupture de la quasi-totalité du dernier album durant la première heure, qui a vraiment l’allure d’un tunnel interminable pour le coup. Et puis toujours l’absence des pièces les plus brûlantes de Bossa Nova, et des morceaux les plus réussis de la discographie récente (le formidable Beneath the Eyrie semble quasiment oublié). Et puis toujours pas de Gigantic, ce qui montre que la plaie ouverte par Kim Deal n’est toujours pas cicatrisée. Deux versions de Wave of Mutilation, à quoi ça sert, alors que tant de grands morceaux n’ont pas été joués ? Et pourquoi cette interprétation plus accueillante du monstrueux Planet of Sound, qui en perd (un peu) sa furie extrémiste ?
Mais sinon, comme d’habitude, heureusement, les raisons de nous réjouir ne nous ont pas manqué : on a retrouvé avec plaisir la fulgurante reprise du Head On de The Jesus & Mary Chain, on a grandement apprécié le final mélodique sur le Winterlong de Neil Young, parfait. L’excitation générée par l’enchaînement de Mr. Grieves et Nimrod’s Son, débouchant sur la splendeur malade de Gouge Away nous a rappelé, si besoin était, pourquoi les Pixies étaient un groupe majeur.
Oui, l’hystérie des premières années a disparu, les Pixies n’ont plus vingt ans, et nous non plus, d’ailleurs. Mais les voir sur scène, au milieu d’un public fervent et amoureux, reste une belle expérience. A l’année prochaine ?
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot