Une tempête est passée hier soir sous le chapiteau du Cabaret Sauvage. Shame a tout retourné sur leur passage en livrant une performance déchaînée et largement à la hauteur d’une discographie qui ne cesse d’épater.
A propos du concert de Fuzz au Trabendo mardi soir, on parlait déjà d’une célébration joyeuse et furieuse du rock, et on n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Hier, c’était au tour de shame de faire trembler le chapiteau du Cabaret Sauvage. Seulement cette fois-ci, l’énergie et le public étaient différents, on n’a pas tant célébré l’immortalité d’un genre que l’évolution d’un autre, car shame nous a ici prouvé que le post-punk n’est pas mort, mais qu’il se réincarne au contraire en une nouvelle génération prête à déferler avec une rage teigneuse et communicative.
On a été surpris de voir apparaître sur scène en guise de première partie un duo américain au nom provocateur : They Hate Change. Deux rappeurs, sur des instrus pré-enregistrées voguant entre les genres et se donnant en spectacle sur une performance presque théâtrale. Sans doute est-ce une moindre accoutumance du public qui empêche au charme des deux rappeurs de prendre, mais ils dégagent cependant une belle énergie à déambuler avec entrain sur la scène. Ils en rient d’ailleurs eux-mêmes, de l’atypie de leur présence, et réussissent tout de même sur la fin, avec ce qu’ils nomment une instru « post-punk disco » à gagner la reconnaissance des spectateur.ices.
Chez Benzine, on avait déjà couvert le concert de shame au Bataclan l’année dernière. Il y avait déjà interprété certains morceaux de leur futur album, et forcément la manœuvre est à double tranchant : c’est l’occasion de se languir de ce qu’un groupe s’apprête à sortir, mais c’est évidemment plus difficile de prendre part à une danse dont on ne connaît pas encore les pas. Cette fois-ci cependant, l’excellent Food for Worms, chroniqué ici, est sorti, et les fans du groupe le connaissent déjà par cœur. Sortez les mains de vos poches, enfoncez vos bouchons, lacez bien vos chaussures, ou vous ne sortirez pas indemne de la tempête, pardon du cyclone shame.
Le quintet a la tête de l’emploi, pas de doute possible sur le fait qu’ils soient anglais, coupes de cheveux et style vestimentaire obligent, la superbe nonchalance du post-punk en extra. Les premières secondes explosives de Fingers of Steel nous ont bien vite fait comprendre que le concert s’annonçait musclé. Arrivé sur scène avec veste, cravate et chemise, Charlie Steen, au charisme qui n’est plus à défendre, ne tarde pas à en faire tomber l’ensemble, car la température monte vite, très vite sous le chapiteau du Cabaret Sauvage, et ni lui, ni le public rassemblé dans la fosse rapidement devenue fournaise ne pourront dire le contraire.
Les responsables de cette mise en ébullition, ce sont, plus encore que le jeu incisif de l’ensemble des musiciens, les sauts guillerets et les allers-et-retours déjantés du bassiste sur la scène qui lui concèdent clairement la palme du membre le plus impliqué, exit un certain Charlie Steen qui accapare évidemment l’attention. Mais il ne verse pas tant dans la démesure calculée qu’on peut reprocher à certains leaders ; son attitude ce soir-là dégage un naturel pouvoir d’attraction et cette gueule d’ange insolente a tout pour charmer son public.
Aucune fausse note à relever sur la setlist, chacun des trois albums est convoqué avec brio, et surtout, le petit dernier n’a rien à envier à ses deux prédécesseurs : ses morceaux suscitent autant d’enthousiasme que d’autres plus anciens devenus cultes. Pas de traitement de faveur entre les titres donc, et chacun déchaîne les masses avec fureur. Le public est agréablement jeune et endiablé, et transforme le Cabaret Sauvage (qui n’aurait pas pu mieux porter ce nom que ce soir-là) en un gigantesque moshpit aussi violent que grisant pour qui s’y trouve. En accord avec son audience, l’énergie bouillonnante de shame s’avère terriblement actuelle, et ce n’est pas seulement pour célébrer leur génie artistique qu’on entonne avec ferveur les refrains d’Alibis ou Burning By Design, c’est aussi pour exhumer une colère plus ou moins enfouie et sublimée ce soir-là par une transe délirante sur Concrete, joyeuse sur les accents funk de Six-Pack, grave sur le ténébreux Born in Luton.
Un tel maniement de leurs trois albums prouve à l’évidence que shame joue dans la cour des grands, et qu’il y a tout à fait leur place. La tension ne redescend jamais, ne fait que s’accentuer à mesure que Charlie Steen dirige la foule, tantôt pour s’y jeter, tantôt pour mettre le feu au poudre en lançant la foule dans un mouvement centrifuge furieux. Même lorsque l’un des guitaristes dégaine une guitare sèche et que le chanteur baisse d’un ton sur Orchid, la fièvre ne redescend pas, et les corps se mettent à ondoyer en attendant que les guitares ne déboîtent sur la fin du titre. Versées comme de l’huile sur le feu, les contributions plus pesantes de Drunk Tank Pink n’ont jamais si bien sonné qu’insérées dans une setlist aussi dense que celle-ci. Le public exulte sauvagement quand s’emballent les premiers roulements de batterie de Snow Day, véritable danse aussi ténébreuse que féroce, et décidément fascinante.
Shame n’en finit plus de régaler une foule en effervescence en embrayant avec One Rizla, avant de confirmer le succès de leur dernier album sur Adderall, l’occasion pour Charlie Steen de se mettre à la basse et pour nous d’user nos cordes vocales à chanter – ou hurler – « You sold my life for me », sans se douter qu’après une petite heure de concert, la fin approche. C’est Gold Hole, bijou nerveux tiré de Songs of Praise, qui met un point final, sans rappel malgré les supplications véhémentes du public, à la frénésie ravageuse du quintet londonien.
Plafonnée au sommet une heure durant, l’énergie survoltée de shame a mis à feu et à sang le Cabaret Sauvage, et a convaincu tout le monde que leur flamme, plus vive que jamais, n’est pas prête de s’éteindre.
Texte : Marion des Forts
Photos : Trinity Nguyen
spectateur.ices. ???
Un peu d’inclusion n’a jamais fait de mal à personne ;)
Laissons de côté les considérations esthétique, mais quand elle exclut tout le contingent des dys (dysphasiques, dyslexiques,etc.)?
Je ne suis pas certaine que cette orthographe du mot, désormais bien répandue au sein des institutions culturelles, en altère la compréhension, mais je prends note de votre remarque.
Ce n’est pas, pour cette catégorie de la population malheureusement de plus en plus nombreuse (plus d’un élève sur 4), un problème de compréhension mais de reproduction. D’ailleurs, l’écriture inclusive est promue dans un milieu privilégié (les « institutions culturelles »)