On pouvait légitimement en attendre beaucoup de Son Lux, trio virtuose entamant hier soir sa tournée au Trianon. Malheureusement divers problèmes techniques et un choix de titres perfectible n’ont pas permis à leur musique d’atteindre les sommets paroxystiques auxquels elle peut prétendre.
On n’adhère pas à moitié à Son Lux. C’est une projection réflexive vers un inconnu dont les détours ou le timbre de voix particulier de Ryan Lott peuvent rebuter, mais quiconque tombe sous le charme des pérégrinations sonores audacieuses du trio s’imaginera forcément vivre une expérience hors du commun en le voyant opérer en live. C’est donc avec une certaine hâte que nous attendions que Son Lux éblouisse le Trianon de son génie. Cependant, si la singularité du talent des trois musiciens est évidente, la lumière ce soir-là n’aura pas jailli autant que nous l’espérions.
Nous avons eu le plaisir de découvrir en première partie Holland Andrews, jeune artiste à la grâce remarquable et déroutante dans une simple robe bleue. Elle nous a offert une expérience que l’on qualifie volontiers de spirituelle, en usant de sa voix comme d’un instrument insolite. Oscillant entre chant suraigüe et envolées lyriques stupéfiantes, l’artiste fait preuve d’une palette vocale impressionnante illustrée par une gestuelle presque processionnelle. Son accompagnement instrumental, retentissant et cathartique, nous force presque à fermer les yeux pour pénétrer son univers et prendre part aux ascensions, parfois inconfortables mais pénétrantes, que nous offrent ces sonorités venues d’outre-tombe. Alors que le sol du Trianon se met à trembler, et que l’on pense avoir atteint les limites du supportable, Holland Andrews nous tend la main et nous ramène sur terre, en faisant chanter sa clarinette sur des boucles suaves. Sa voix, véritablement envoûtante, nous conte des histoires de fantôme, répétées à l’infini. Dans une salle devenue cathédrale, chaque sample de l’artiste devient organique, et berce un public attentif et tombé sous le charme de la prestance sans artifice et de la sympathie d’Holland Andrews. Alors que sa performance s’achève, chacun émerge doucement de sa torpeur, délicieusement surpris par ce qu’il vient de vivre.
Après cette belle découverte, les trois musiciens talentueux de Son Lux sont chaleureusement accueillis par leur public. Rafiq Bhatia est assis à la guitare, quand Ryan Lott est debout devant son clavier incliné vers l’avant (c’est important !). Sur scène, la voix du leader est fidèle à elle-même, lascive, à la fois caressante et perçante. Elle retentit avec grâce au sein de l’obscurité ambiante alors que les doigts de Ryan dansent sur son clavier. Les premières minutes du concert sont celles d’un ballet d’expérimentations sonores. Relativement calmes, elles empruntent majoritairement aux trois volets énigmatiques des Tomorrows du groupe, enregistrés en 2020.
Si le chanteur occupe en premier l’espace sonore et attire manifestement l’attention, lui qui a forgé l’identité de Son Lux, c’est bien Ian Chang qui force l’admiration dès qu’il commence à faire virevolter ses baguettes sur sa batterie. Véritable pierre angulaire du trio ce soir-là, le batteur entrouvre la porte d’accès à l’univers dense et complexe du groupe au moyen de percussions savantes, claires et mesurées. Elles ne marquent pas seulement les rythmes sophistiqués de chaque titre, mais dessinent les pulsations auxquelles nous nous accrocherons tout le concert durant pour tenter de nous hisser à des hauteurs vertigineuses qu’on ne pourra malheureusement que toucher du bout des doigts.
La plupart des gens présents ce soir-là l’étaient pour célébrer leur amour pour un ou plusieurs des excellents albums de Son Lux, que ce soit Brighter Wounds, Bones ou Lanterns, mais le groupe a fait le choix de largement puiser dans le tryptique Tomorrows. Si ce dernier constitue une brillante élongation de leur talent, il n’est pas des plus accessibles, et n’a surtout pas eu un retentissement aussi important que les albums majeurs du trio. Des titres au potentiel monstre comme Lost It To Trying ou Forty Screams auraient à coup sûr rencontré l’extase du public, mais ils étaient bien peu nombreux hier soir. Easy, véritable monument de Son Lux, a bien évidemment fait l’unanimité et on a bien cru que l’heure de l’ascension avait sonné, mais il a presque fait cavalier solitaire à la tête d’une setlist aux aspérités bien ténues.
La chance n’a pas non plus souri au trio pour son retour sur scène. Après une petite heure de set, il disparait en coulisse. Un peu surpris, on s’imagine qu’un rappel conséquent nous attend, mais le groupe revient, penaud, pour nous informer d’un problème technique avec le guitariste. Ryan Lott meuble comme il le peut l’attente, en nous racontant l’histoire derrière leur participation au film récemment oscarisé Everything Everywhere All At Once (« a multiverse band for a multiverse movie ») et enfin, après plusieurs minutes, le concert peut reprendre. On ne veut pas croire à un échec, alors on ferme à nouveau les yeux, prêt à cueillir au creux de notre estomac la musique viscérale de Son Lux.
On croit y venir, Live Another Life s’annonce comme le titre à même de nous propulser, si ce n’est au sommet, au moins par-delà la terre ferme. Mais à trop jouer avec la gravité, on en perd son clavier. Mais si, vous vous souvenez, celui incliné vers l’avant ? Eh bien il n’aura pas survécu longtemps dans cette position, et si pendant plusieurs secondes Ryan Lott continue de jouer tout en maintenant son – lourd – clavier pour qu’il ne se fasse pas la malle, le trio est contraint de cesser de jouer pour remettre en place le fugitif. Second interlude cette fois-ci occupé par Rafiq et Ian qui improvisent une jam ambient pendant qu’on scotche le support défaillant.
Si le public est resté bienveillant et l’ambiance chaleureuse, on déplore évidemment ces incidents qui ont empêché à l’ambitieuse musique de Son Lux de se déployer avec toute la puissance dont on la sait amplement capable. Le concert reprend, Live Another Life bénéficie d’une fin en bonne et due forme, et Unbind vient clore le set, c’est alors l’occasion d’une belle escalade entre guitare et batterie, si belle qu’elle en est frustrante : on ne peut qu’admirer l’extrême maîtrise des musiciens, et on aurait tant aimé vibrer davantage ! Son Lux s’éclipsent, non sans nous remercier pour notre patience, et si le public ne leur tient pas grief de ces problèmes techniques importuns, on regrette de ne pas avoir vécu l’odyssée promise.
La musique de Son Lux est une expérience à vivre d’une traite. C’est un voyage haletant et poétique où les silences en disent autant que les ascensions sonores fulgurantes. Ce soir-là toutefois, même si l’admiration pour ces trois musiciens de génie demeure intacte, nous n’avons pu que stationner à regret au pied de cette voie céleste.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil
J’ai adoré de mon côté. Ces petites imperfections en font des moments inoubliables. J’étais devant a gauche. L’atmosphère qu’ils arrivent a créer etait incroyable ! In the mood for dance…