Au menu de la Gonzaï Night de ce mois de mars, les inclassables de Foncedalle et le post-punk vigoureux de Tramhaus, ou de quoi prendre un sérieux plaisir à découvrir les visages de ceux qui commencent à embraser les fosses.
Samedi soir, il fait plutôt bon, les métros circulent, Gonzaï Night en vue : tous les voyants sont au vert pour se rendre à Petit Bain, ne serait-ce que pour clore une semaine riche en concerts à Paris sur une bonne note. Plus encore, c’était l’occasion, après avoir loué l’immortalité de certains artistes, de sortir cette fois-ci la liste de ces groupes prometteurs dont le talent commence à gronder et d’y annoter deux nouveaux noms.
Foncedalle, ce n’est pas le programme de l’after du concert, encore que, libre à chacun d’occuper sa soirée, mais le nom de la première partie. Avec un sobriquet pareil, on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Un partisan de la « shlagwave » de Gwendoline ? Un trip halluciné ? Du rock un peu crade ? En réalité, c’est un peu tout ça à la fois, si bien qu’on a du mal à les ranger dans un tiroir, ni même une époque. Quoi qu’il en soit, ce trio a faim de beats électroniques dantesques, de psychédélisme et d’un je-ne-sais-quoi terriblement addictif. Pour rester sur les métaphores culinaires, disons que Foncedalle, c’est ce met surprenant qui ne paie pas de mine mais qui donne une explosion de saveurs une fois en bouche.
Un seul EP paru à l’heure où l’on rédige ces lignes, mais un set cuisiné aux petits oignons où se cognent des boucles typées synthwave un peu fiévreuses et une basse ravageuse. Le dernier joyeux luron du trio officie à la guitare avec une agilité remarquable et monte des riffs hardis et entraînants. Voilà Foncedalle : une batterie de câbles, une basse carrément lourde et une guitare qui ne tient pas en place ; l’urgence de la nonchalance incarnée par un trio lyonnais à surveiller de près. D’une savoureuse densité rythmique, les compositions effrontées du trio sont saupoudrées de voix passées au détergent, histoire de rendre un peu râpeuse la traversée. Ils voguent ainsi sur des harmonies et des rythmes intrépides, mais peuvent très bien piler et déraper sans prévenir personne. Ils ont bien sûr dans leurs bagages le psychédélisme du krautrock, mais ils le brinquebalent sans ménagement ; alors on aurait pu dire que Foncedalle ne se prend pas au sérieux, sauf qu’il cache bien son jeu derrière son attitude délurée, et c’est précisément parce qu’il se fiche certainement des cases et des conventions qu’on lui trouve une surprenante sympathie.
Contrairement à Foncedalle, Tramhaus joue sur un terrain bien labouré. Ouvrez le livre de recette à la page du post-punk, taguez-le du drapeau néerlandais, comptez quelques accents pop et une bonne dose de riffs tonitruants, et vous obtenez un concentré brut des plus efficaces pour passer un agréable et bruyant samedi soir.
Il semble que ce soit un topos des groupes de post-punk d’avoir un leader qui n’en ait pas l’apparence. Lukas Jansen, avec sa coupe mulet, son jean et sa chemise des seventies aurait pu appartenir au crew des MNNQNS, mais grand bien nous fasse, cette grandiloquence cache une féroce hargne. Ils sont cinq sur scène, deux femmes et trois hommes qui semblent tous être liés par une belle amitié, ils s’échangent régulièrement des regards malicieux, mais leur bonhommie n’est que de façade, car le quintet revendique une énergie virulente. Démarrant au quart de tour sur fond de guitares saccadées et de fréquences basses insolentes, le chanteur prouve vite qu’il a du coffre, et la formule nous rappelle facilement l’effronterie des Viagra Boys sur des morceaux comme I Don’t Sweat.
Tramhaus a une remarquable capacité à produire des titres tubesques dans le genre, et on choisit ici de le percevoir comme un atout, car il faut avouer que bon nombre de leurs mélodies sont sacrément entêtantes. Plus aériens sur The Goat, le quintet explose sur Make It Happen où pleuvent les influences, mais force est de constater que le titre est redoutable : un riff clinquant soutenu par un chant inquisiteur qui n’en a pas fini de tourner en boucle. Les guitares saturées et les chants gras leur saillent aussi, d’autant plus lorsque c’est la guitariste qui se charge des chœurs agressifs d’Amour Amour, pendant que Lukas Jansen, micro nonchalamment en main, se trémousse avec une drôle de grâce railleuse sur la scène.
C’est un peu amusé qu’on le regarde pousser ses chants narquois, mais on préfère presque le voir vociférer, guitares en avant et roulements de batterie à l’appui ; car si Tramhaus saute à deux pieds joints dans le bassin surpeuplé du post-punk, et qu’ils peuvent s’y trouver une place, on les aime autant si ce n’est plus lorsqu’ils se débarrassent du (post-) pour laisser leurs racines punk éclater avec violence. En témoigne le dernier morceau on ne peut plus explicite Karen is a Punk, où le chanteur descend dans la fosse et trouve son public ravi d’exulter d’un peu de rage sur des guitares salissantes à souhait.
La soirée se termine bien tôt, mais elle a le mérite de nous avoir fait faire deux belles découvertes. Foncedalle et Tramhaus semblent avoir trouvé leur public hier soir à Petit Bain, et on leur souhaite vivement de continuer à agiter les radars.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil