Etrange projet que celui de Netflix, qui reprend le personnage iconique de l’inspecteur Luther et le fait rencontrer un super-méchant psychopathe dans une superproduction aux allures jamesbondesques. Divertissant, mais totalement absurde !
En 2010, quand la « petite » série anglaise Luther est apparue sur les radars, l’enthousiasme a été général : Idris Elba, qui est quand même l’une des meilleures illustrations cinématographiques de ce qu’est le charisme, y renouvelait joliment le cliché du flic torturé, voire déséquilibré, aux méthodes très discutables, mais très efficaces. A la cinquième saison, la série, usée jusqu’à la trame, s’arrêtait sans panache et sans gloire… C’est donc avec une certaine surprise que l’on découvre que Netflix a relancé le personnage, avec un long-métrage de plus de deux heures, Luther: The Fallen Sun (Le Soleil déchu, en traduction française) : on ne peut guère douter qu’il s’agisse d’une tentative purement commerciale de créer une nouvelle franchise avec un personnage aimé du public, en le boostant grâce à un budget autrement plus conséquent que celui des modestes « teléfilms » de la BBC, mais on se laisse, évidemment, tenter…
On s’inquiète que la réalisation du film ait été confiée à Jamie Payne, qui ne s’est jamais fait particulièrement remarquer dans les séries TV qu’il a mises en scène (The Alienist, Invasion…), mais force est de constater, dès le début du film, qu’il sait injecter du punch dans cette histoire de super-méga-psychopathe recrutant ses victimes, mais aussi ses suiveurs / spectateurs via un contrôle absolu qu’il tire de l’exploitation de leurs informations personnelles récupérées sur Internet. Les premières scènes du film, très réussies, laissent espérer un thriller de très bonne tenue, et ce d’autant qu’on est franchement ravi de retrouver Idris Alba, sa présence physique monumentale, sa voix légendaire, dans le manteau élimé du DCI Luther, toujours aussi brillant et encore plus dans l’ennui (il se retrouve en prison, cette fois !).
Il nous faut malheureusement déchanter : plus le film avance, à marche forcée derrière, enchaînant sans nous laisser jamais reprendre notre souffle les péripéties spectaculaires et… ahurissantes, plus on a l’impression d’être à bord d’une machine infernale lancée sans que nul ne contrôle plus rien ! Les invraisemblances s’accumulent de manière exponentielle, et on ne parle pas seulement des délires géographico-temporels, qui permettent aux personnages de passer de Londres au nord de la Norvège via Douvres (pour prendre un ferry qui n’existe d’ailleurs pas entre les deux pays !) en l’espace de quelques heures, mais aussi de la disproportion absurde entre les actions du serial killer et les moyens qu’il faudrait pour les réaliser et les mettre en scène comme il le fait. Bref, on est passé sans coup férir du petit thriller poisseux dans les rues londoniennes mal éclairées à la superproduction jemesbondesque avec un méchant quasi-maître du monde, dans le rôle duquel Andy Serkis, vraiment peu subtil pour le coup, cabotine effrontément.
Les scènes d’horreur s’empilent (c’est le propos du film, le voyeurisme qu’Internet favorise, mais il est difficile de condamner quelque chose en l’exploitant, on le sait depuis toujours), l’action ne s’arrête jamais, Luther – tel le super héros moyen – survit à toutes les blessures imaginables (un coup de couteau dans le ventre ? Rien qu’un peu de superglue ne puisse résoudre instantanément !)…
Il faut admettre que le film nous emporte régulièrement avec lui dans ses délires, que les dernières scènes, même si elles ont vaguement ridicules, exploitent joliment la splendeur des déserts glacés de la Scandinavie. On peut même, honteusement, reconnaître que l’on ne s’est pas ennuyé pendant les 2 heures de Luther – Soleil Déchu. Mais pourquoi a-t-il fallu que Neil Cross (le showrunner de la série, rappelons-le) pousse ainsi tous les curseurs dans le rouge, se livre à tous les excès possibles et imaginables à partir d’une idée initiale pas mauvaise, et fasse autant fi de la vraisemblance.
La dernière scène, ouverte sur un futur différent pour John Luther, donne la réponse et confirme notre intuition : c’est bien à la naissance d’un nouveau James Bond que nous venons d’assister. Même si Idris Elba a régulièrement répété qu’il ne reprendrait jamais le rôle de 007, il vient clairement de céder aux avances de Netflix : attendons la suite, avec pas mal de craintes…
Eric Debarnot