En 1967, les Pink Floyd lâchaient leur premier album et le mètre-étalon de ce Rock psychédélique si ancré dans l’époque. Syd Barret est le grand gourou de ce premier jet Floydien et va créer le style Pink Floyd initial à base d’errance spatiale et de comptines enfantines. Le tout noyé dans une grande marmite de LSD. Pink Floyd vient de naître, Syd est déjà mort.
C’est une histoire de collégiens, une histoire de lycéens. Une histoire comme tellement, tellement d’autres ont commencé. Cela se passe à Cambridge mais cela aurait pu être n’importe où ailleurs.
N’importe où ou presque !
Cela devait tout de même se passer en Angleterre. Dans cette île en pleine effervescence, où les futurs boomers n’avaient pas encore abdiqué leur liberté créatrice au profit d’actions paresseuses dans un quelconque fond de pension Ricain. Où la jeunesse de Grande Bretagne moulait ce creuset béni des Dieux, ce chaudron de sorcière où bouillonnait mille influences et dont ils allaient arroser la planète entière.
Dans cette époque étrange où les Highschool de la perfide Albion devenaient le ferment d’une culture Pop en construction, où les Beatles avaient à jamais changé le statut de la Pop Music la faisant basculer dans le grand Art à coups de titres de plus en plus travaillés, de plus en plus ciselés dans les studios enfumés d’Abbey Road.
C’est donc à Cambridge que va se passer cette histoire, la genèse de cette histoire plus précisément. Cette cité au nord de Londres, fer de lance – avec Oxford – de l’élite universitaire Britannique, ville bourgeoise fière d’elle et de son excellence distillée depuis des générations au gratin de la noblesse et de la bourgeoisie à dents jaunes.
C’est dans ce bastion du sérieux à l’Anglaise depuis des générations que naît Roger Keith Barrett en 1946. Fils de médecin, prototype parfait d’une middle-class British en pleine expansion et désireuse d’émancipation sociale, le Jeune Roger Barrett s’intéresse très tôt à la musique et au langage des instruments. Ukulélé, Banjo, guitare acoustique et enfin guitare électrique pour ses 15 ans – dont il fabriquera lui-même le système d’amplification -, celui qui se fait désormais appeler Syd s’abreuve de cette nouvelle génération de musiciens qui squattent les ondes de la BBC rejouant les standards du Rock’n’Roll Américain et les petits bijoux Pop des Beatles.
Les années 60 n’épargneront personne. ce vent de liberté parviendra même à s’infiltrer dans les interstices serrés des blocs de pierre centenaires de la prestigieuse université. Cambridge en effet voit ses enfants changer de forme. Les chemises se colorent, les cheveux s’allongent et les jupes raccourcissent. Les étudiants sont plus intéressés par la guitare électrique que par les compétitions d’aviron; les cours d’Art ne désemplissent pas et dament le pion aux classiques humanités estudiantines.
C’est ici, dans cet univers clos à la rigidité encore toute victorienne, ces écoles toute British dont le vernis janséniste commençait à s’effriter sous les coups d’une jeunesse rebelle mais dont les professeurs faisaient encore régner une discipline de fer. C’est là que Syd Barret fit la rencontre de David Gilmour et un peu plus tard de Roger Waters.
Syd commence à écrire des chansons, à reprendre des standards, se produit sur de petites scènes – souvent en duo acoustique avec Gilmour – et commence à se faire les griffes dans les bars de la région rabâchant ses accords, travaillant ses harmonies, sur les judicieux conseils du pote Gilmour.
A 19 ans, las de l’austérité cambridgienne, Syd fait ses bagages et prend le rapide pour la capitale: La trépidante London City. Il rejoint son vieil ami Roger Waters qui fait ses études à l’école d’architecture Regent Street Polytechnic où il s’emmerde fermement. Quand Syd débarque chez Roger, celui-ci c’est déjà fait des potes et à monté une petite formation – Sigma 6 – qui écume déjà les pubs de la ville.
Le courant passe instantanément chez ces passionnés de musique, Syd intègre alors le groupe de Roger et de ses deux amis: Richard Wright et Nick Mason.
The Abdabs, The Meggadeaths (oui, oui !) ou The Tea Set seront les nombreux noms de groupe des quatre amis que l’on verra fleurir durant une paire d’années sur les affiches des devantures de salles de concert. C’est Syd qui viendra mettre un terme à ce difficile choix du nom de groupe en mêlant les noms de deux musiciens de blues qu’il appréciait, Pink Anderson et Floyd Council, qui donnera dans un premier temps The Pink Floyd Sound, puis tout simplement Pink Floyd.
Le nom trouvé et c’est une révélation !
Le groupe continue d’écumer les salles de la ville commençant à se produire sur de plus grosses scènes (Le Marquee Club et le Roundhouse notamment) et en l’espace de quelques mois deviennent les fers de lance de la scène Psychédélique Londonienne.
c’est dans ces concerts au Marquee Club, ces concerts encore approximatifs faits de reprises des Kinks ou des Beatles ou de morceaux originaux balbutiants, qu’ils sont repérés par Peter Jenner et Andrew King. Les deux producteurs/ managers vont alors miser sur le groupe et sur cette mode psychédélique naissante.
Arnold Layne et See Emily Play voient le jour en 45 tours et sont immédiatement des petits succès sur les ondes malgré la censure de la toute jeune Radio London qui punira Arnold Layne d’être trop barrée pour ses auditeurs.
Les concerts affichent dorénavant complets et les singles malgré une étrangeté que l’on attribuera au style Psyché ont permis la reconnaissance du groupe, l’extirpant d’une contre-culture confidentielle pour le placer sous le feu brûlant des projecteurs.
Les 45 tours ayant correctement fonctionné sur l’île Bretonne, Jenner et King balancent leur poulain dans le grand bain. Ils offrent aux gamins le must du must pour leur premier album. C’est aux Studios Abbey Road que les Pink Floyd vont enregistrer cet étrange premier album. C’est à côté des Beatles – alors en plein enregistrement du Sgt Pepper Lonely Heart’s Club Band -, les oreilles bien ouvertes aux sonorités nouvelles et aux expérimentations Beatlesiennes, que nos quatre amis vont enregistrer les onze chansons de The Piper at the Gates of Dawn.
C’est Syd qui écrit, c’est également lui qui compose (10 titres sur les 11 que contiennent le disque) et inspire la tonalité particulière de l’album. Mais un homme de l’ombre veille.
C’est Norman Smith ancien ingénieur du son des Beatles qui va graver sur bandes et cadrer ces gamins encore novices sur les méthodes d’enregistrement et sur la nécessaire et salutaire différence entre une chanson écrite et un délire psychédélique sans queue ni tête qu’ils enchaînaient sur les scènes universitaires. Un véritable apprentissage du métier et des outils qui, on le sait, fascinera le groupe et le maintiendra à la pointe de la technologie musicale durant des années.
C’est un inquiétant voyage qui débute, un décollage étrange et surréaliste dans une fusée bringuebalante nous propulse dans un espace angoissant. Astronomy Domine ouvre l’album sur une sorte de montée en crescendo qui ne termine jamais, un décollage qui n’aurait pas de fin. un morceau en parfait déséquilibre qui annonce finalement, dès l’ouverture, la substantifique moelle de l’album et de son principal maître d’œuvre. Car Syd, au début par curiosité, puis par jeu et maintenant semble t-il par nécessité s’enfonce lentement dans l’enfer des drogues psychotropes.
Lucifer Sam, chat satanique et goguenard, trace la voie vers les portes de l’enfer toxique dans lequel Syd va se jeter. Un morceau dans l’air du temps, dans la veine de cette nouvelle Pop so british. Une drôle de Pop tout de même; une Pop déstabilisée et déstabilisante qui aurait ingéré les Who ou les Kinks pour en dupliquer une version acidifiée et fragile comme du cristal.
Ce son particulier qui accroche directement l’oreille et la tient en éveil tout du long. Ce style si perturbant que l’on prend pour le marqueur évident d’un Rock Psychédélique encore jeune…et si ce n’était pas que ça !
Au fil de l’écoute du disque, il nous semble voir, presque toucher la psyché vacillante de son auteur.
Il y a une fragilité derrière les guitares rageuses d’ Interstellar Overdrive, une sorte de malaise. L’évocation de l’espace chez Syd n’est pas cette conquête féerique que les journaux vendent aux peuples médusés mais une immensité effrayante, un néant morbide, un chaos de chaque instant.
Syd continue – avec Astronomy Domine – l’exploration de ce cosmos trouble, son propre cosmos. Un univers angoissant, oppressant; une vision pessimiste de l’inconnu intersidéral. C’est en redescendant sur terre que Syd retrouve une sorte de sérénité. Les pieds au frais sur le gazon Anglais, la sérénité de Syd s’avère n’être pourtant qu’un leurre. C’est en dehors de la réalité que cette sérénité semble s’inscrire. Syd s’enferme dans son enfance. Comme s’il fallait exorciser, oublier cette vision terrifiante du cosmos, de ce reflet dans le miroir; il va creuser, il va déterrer, une Angleterre déjà oubliée: celle de son enfance.
Retrouver son enfance, se blottir dans ses souvenirs pour éviter un futur nébuleux. Plonger dans ces contes de fées surannés, si réconfortants pour ne plus remonter dans cette fusée bringuebalante en direction de son enfer spatial.
Se replonger dans ce chapitre 7 du « Vent dans les Saules » de Kenneth Grahame, retrouver ce joueur de pipeau aux portes de l’aube, ce Piper at the Gates of Dawn de son enfance, si rassurant, si familier.
Flaming, Matilda Mother, Scarecrow ou The Gnome véritables petits bijoux Pop invoquent ces comptines, ces histoires que l’on racontaient pour endormir les enfants, noyant ces mélodies enfantines dans un délire Psychédélique Pop. Mais les Floyd livrent une pop différente, inédite, aux sonorités d’un autre monde, d’un autre siècle. Une Pop folklorique semblant presser l’âme ancestrale d’une Angleterre figée dans le temps et celle, hélas, de son auteur.
Un premier album comme un putain de rite Païen. Une invocation du passé, du futur, des anciens Dieux et du nouveau monde autour d’une marmite de LSD bouillonnante dont Syd remplit les verres des convives, se gardant malheureusement la meilleure part.
C’est au combat d’un homme contre lui-même auquel on assiste. Le combat intérieur de la raison contre les germes toxiques de la folie. Syd se démène, il se débat contre lui-même. Il lutte contre ce cosmos, ce néant spatial qui veut l’engloutir. Il implore à la rescousse les héros de son enfance, ces paysages verdoyants et ces histoires apaisantes, tentant vainement d’anesthésier cette peur qui le tiraille, cette folie qui s’immisce aux tréfonds de son âme; de reculer le plus possible l’heure du départ de cette putain de fusée bringuebalante pour des étoiles qui ne brillent même plus.
Il est trop tard. Bon voyage Syd !
Renaud ZBN