A notre humble avis, The Psychotic Monks est le groupe français le plus révolutionnaire, le plus stupéfiant de son époque, en particulier lors de performances « live » absolument exceptionnelles. Il nous semblait vital de parler avec eux de leur vision, si particulière, de leur Art… en leur proposant de répondre à notre habituel « Questionnaire de Proust » !
Qui a déjà vu The Psychotic Monks sur scène peut témoigner de combien il s’agit de moments hors du commun, que peu de groupes ou d’artistes peuvent proposer : voici un groupe qui offre une expérience différente, on a envie d’écrire « supérieure ». Mais on sait aussi combien cette approche, même si elle est viscérale, profonde, est avant tout réfléchie, théorisée par un groupe qui comprend aussi bien les opportunités, mais aussi les défis qu’elle offre. La publication par le groupe d’un texte passionnant sur l’importance des comportements de chacun au cours d’un concert a suscité beaucoup de commentaires, la plupart très positifs. Le groupe prolonge ainsi en 2022 la démarche politique ambitieuse qui a été celle d’acteurs capitaux du mouvement punk, comme par exemple The Clash en Grande-Bretagne ou Fugazi aux USA.
Tout cela confirmait combien il était important pour nous, chez Benzine, de faire le point avec le groupe sur son évolution et ses réflexions. Nous avons donc rencontré Martin et Paul pour cet interview-fleuve, à partir des neuf questions habituelles de notre « questionnaire de Proust »…
Quel est le principal trait qui caractérise The Psychotic Monks ?
Martin : A la base, ce groupe, c’est vraiment la réunion de nous quatre… Il n’y a que Paul et moi qui sommes là… Donc je vais répondre pour moi uniquement ! Et justement, c’est peut-être ça le trait qui nous caractérise, la réunion de nous quatre… C’est vraiment un espace qu’on a créé, où chacun et chacune d’entre nous peut mettre ce qu’il ou elle a envie de mettre, en termes de décharge émotionnelle. Un espace où on exprime ces émotions dont on parle beaucoup, tous et toutes les quatre… On y extériorise certaines choses qu’on n’arrive tout simplement pas à exprimer par d’autres moyens. C’est autour de la musique qu’on se rejoint, en tout cas en tant que pratique : à la base, c’est vraiment une histoire de d’amitié, presque de famille… On se connaît tous depuis très longtemps, on a construit une relation bien avant de faire de la musique ensemble…
Paul : Psychotic Monks, c’est une force tranquille. Quelque chose qui avance lentement mais sûrement… Et même pas forcément lentement, en fait… Mais c’est quelque chose qui est reposant, rassurant, sur lequel on peut s’appuyer.
Quelle est la qualité que vous désirez vraiment avoir chez The Psychotic Monks ?
Paul : J’aimerais tendre sur scène vers quelque chose qui soit le plus immersif possible… De participatif… Une expérience où on puisse se reposer, écouter, et se laisser aller aussi. J’adorerais trouver des manières d’inclure les gens dans la musicalité de la soirée : ça peut être avoir des instruments à disposition, ou bien avoir un morceau où tout le public chante ensemble, pour dépasser le principe où il y a les personnes qui performent et des personnes qui observent. Avoir tout le monde sur un même plan…
Martin : J’aime bien ce que dit Paul, créer quelque chose AVEC les gens… Je sais que c’est surtout par le live que ça passe : sans les gens qui nous écoutent et qui viennent nous voir sur scène, on n’est rien, on n’existe pas. Du coup, les concerts, ce sont des espaces précieux, dont on veut qu’ils soient de plus en plus « safe » : chacun et chacune doit pouvoir y devenir ce qu’il est et ce qu’elle est vraiment… Le plus largement possible par rapport aux émotions qu’on transmet… Ces émotions ont évolué depuis un certain temps : au début du groupe, on était beaucoup dans un exutoire, qui pouvait passer par la colère, par l’angoisse aussi. Je ne le renie pas, il y avait des colères légitimes, on a traversé des périodes comme ça. Maintenant, on essaie quelque chose de plus large. On parle beaucoup de faire danser les gens d’une certaine manière, c’est quelque chose qui me parle…
Après, je peux te dire que, pour moi, le plus beau des retours qu’on puisse me faire après un concert, c’est quand on me dit : « C’est pas du tout, mais alors pas du tout la musique que j’écoute, mais je suis resté(e) au jusqu’au bout parce que j’ai senti qu’il se passait vraiment quelque chose ! ». Personne n’est prophète en son pays, et toucher quelqu’un là où il ou elle ne s’attendait pas à être touché(e), à travers une esthétique qui nous est propre, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup. Et qui donne envie de continuer à se renouveler. Et de continuer à être en mode : « Nos concerts, on y met tout ce qu’on a envie d’y mettre… ». Et surtout, on ne s’installe pas dans quelque chose d’établi ; ça fait 8 ans que le groupe existe, et honnêtement, si, il y a 8 ans, il y avait eu un génie qui m’avait dit qu’aujourd’hui on ferait la musique qu’on fait, je ne l’aurais pas cru. On est toujours surpris de là où on va… Je crois que le jour où je trouverai parfait le dernier album qu’on aura sorti, il sera temps pour moi d’arrêter et de passer à autre chose… Mais pour l’instant, ce n’est pas le cas… et c’est ça qui me plaît !
Quelle est la qualité que vous aimez retrouver chez les artistes et les groupes que vous écoutez ?
Paul : Les sensations de surprise : peu importe les esthétiques, les environnements, me faire surprendre. Entendre un truc, me dire que ça va partir dans telle direction, et… pas du tout ! C’est ça qui me fait rester !
Martin : Il y a quelque chose qui me plaît énormément quand je vois des concerts, mais c’est peut-être mon côté musicien : c’est quand je vois des artistes, et que, là, je ne comprends pas comment ils font ! Ensuite on est tous et toutes les quatre passionnés de son, et quand on entend des groupes qui font des sons « qu’on n’a jamais entendus »… même si je n’aime pas cette expression, parce qu’on a toujours entendu ça quelque part, en fait.
Ce que j’aime, c’est l’intensité, mais je parle de l’intensité émotionnelle que je perçois. J’écoute beaucoup en ce moment du hip hop français, et un artiste comme B. B. Jacques est très intense dans sa manière de rapper. C’est pourtant une musique à la quelle je ne m’identifie pas, je ne saurais pas la faire, je ne me vois pas la faire, mais il y a quelque chose de très intense dans sa manière de raconter des choses… C’est d’autant plus beau quand ça ne passe pas par l’intensité sonore… Quand on arrive à toucher ça dans des trucs où l’esthétique n’est pas forcément celle-là, par exemple dans la folk ou dans le jazz, c’est d’autant plus beau.
Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans le fonctionnement du groupe ?
Martin : C’est vraiment la relation qu’on a construite. C’est très libre, et avec la volonté de se remettre en question. On a longtemps essayé une sorte de démocratie, avant de se rendre compte que c’est impossible de se checker à quatre et d’être toujours alignés. C’est plus riche de ne pas être d’accord. On peut parler de là où on se sent bien, là où on ne sent pas bien…
Paul : Récemment, le cocktail de nos quatre sensibilités se mélange particulièrement bien, il y a une bonne alchimie…
Quel est le principal défaut de The Psychotic Monks ?
Paul : On veut être très libres, mais en même temps on est la même famille, on a même été colocs pendant un moment. Il faut apprendre à se laisser de l’espace, et à gagner en confiance en acceptant qu’on a plein d’engagements tout en se laissant la possibilité d’une vie. C’est compliqué de mêler un job avec une amitié de longue date. Il faut arriver à mieux distinguer les casquettes « collègues » et « amis »…
Martin : Je me fais l’avocat du diable en parlant de ça, mais chanter en anglais est une chose qu’on défend depuis le début, parce que la plupart des musiques qui nous inspirent sont anglo-saxonnes, mais c’est aussi quelque chose qui participe à la domination de cette langue. Et en plus les textes des chansons, c’est un champ d’expression auquel on attache de l’importance, alors qu’on n’utilise pas notre langue natale ! On aurait à gagner soit à progresser assez drastiquement en anglais, soit à essayer de chanter en français.
Ce sont des questions qu’on se pose, le français est difficile à placer sur la musique qu’on fait en ce moment, mais pourquoi ne pas intégrer des choses en français, de la lecture peut-être… ?
Qu’est-ce que vous faites en dehors de The Psychotic Monks ?
Martin : On a la grande chance d’avoir le statut d’intermittent du spectacle, donc on fait de la musique 100% du temps. Mais sinon, ça peut être des jeux vidéo, de la peinture, de l’escalade…
Paul : Voir des amis, sortir avec eux, voir d’autres concerts… quand il y a l’énergie, parce que quand tu rentres après avoir donné des concerts, tu n’as pas envie de te mettre la tête dans une sono. Mais sinon, on a des projets de musical image, même si c’est encore avec Psychotic Monks… ça ne se dissocie pas trop…
Quel est votre plus grand rêve pour The Psychotic Monks ?
Paul : Vivre toute la tournée bien, qu’il y ait du monde sur toute les dates, que ça se passe bien. On a connu il y a 3 ans un mois de mars où tout s’est arrêté ! C’est bien d’avoir des grands rêves, mais il faut déjà vivre pleinement ce qui va se passer aujourd’hui et demain…
Martin : ça va être une réponse peut-être un peu fumeuse, mais que ce projet continue à me faire rêver… Quand on a commencé le groupe, les rêves pouvaient être démesurés, faire le tour du monde en tournée, faire de grosses scènes… Mais aujourd’hui, avec 10 ans de plus, c’est plutôt apprendre à se poser des limites, où on est, où on se sent bien. Juste réussir à entretenir cet espace dont on a parlé, où on se retrouve sans s’épuiser d’y être. Réussir à garder la tête sur les épaules, aller le plus loin possible, mais dans la sérénité…
Quel est votre pire cauchemar pour The Psychotic Monks ?
Paul : Qu’on regrette, qu’on s’en veuille pour quelque chose. Peu importe ce qu’il arrive, pas de regrets !
Martin : De perdre cette vigilance qu’on a, d’oublier que la priorité, c’est les relations entre nous. D’imploser de l’intérieur parce qu’on a voulu voler trop haut…
Si vous n’étiez pas The Psychotic Monks, vous seriez quoi ?
Paul : Je ne serais pas dans la musique, en tous cas (rires). Vu l’urgence, je ferais quelque chose de concret dans le social. En tous cas, j’essaierais… On a à notre époque un vrai confort de vie, je ne me plains pas, mais c’est compliqué de dealer avec toute cette grosse misère autour.
Martin : J’ai toujours voulu faire de la musique. Plus petit, je faisais du dessin… Mais je rejoins Paul, j’ai été pion dans un collège pendant 3 ans, à mi-temps, et avec le recul, c’est un boulot qui m’a beaucoup plu, parce que j’y ai trouvé des dynamiques sociales intéressantes. Honnêtement, je ne ferais pas aujourd’hui ce métier de musicien si je ne pensais pas que ça sert à quelque chose. Mais oui, travailler dans l’éducation, alternative en tout cas : il y a des espaces où on peut servir à quelque chose… Et puis aménager un espace de vie où je puisse me replonger dans les études que j’aurais bien aimé faire plus jeune. Retourner sur les bancs de la fac à 40 ans…
Propos recueillis par Eric Debarnot
Photos de concerts : Robert Gil
The Psychotic Monks joueront à la Maroquinerie le lundi 10 avril (concert du 22 mars reporté pour cause de problèmes techniques dans la salle)
The Psychotic Monks – Pink Colour Surgery : plus loin, toujours plus loin…