« Paraiso » : Un éprouvant voyage au fond de l’horreur

Suehiro Maruo, le maître de l’ero guro – l’association du gore et de l’érotisme – nous plonge dans les horreurs de la guerre, pas celles du front, mais celles, plus terribles encore, de l’arrière.

Paraiso - Suehiro Maruo
© 2023 Casterman

« Paraiso » signifie paradis en espagnol. De paradis, il en sera peu question dans cet album malgré une couverture où d’angéliques enfants jouent avec un crucifix dans les ruines de ce qui pourrait être un théâtre. Au contraire, Suehiro Maruo ne nous épargne pas. Il fouaille la noirceur humaine et expose son infamie. Si Maruo joue depuis longtemps avec notre fascination pour l’horreur, cette horreur-là n’est pas gratuite, elle est liée à la guerre. Jadis, Jérôme Bosch et Francisco de Goya l’ont décrite. Toutes plus ou moins liées, les cinq histoires, nous projettent à la fin de la Seconde Guerre mondiale à Nagasaki, dans un Japon dévasté, humilié et occupé, puis en Pologne, dans un camp d’extermination allemand. Si cette époque a peu été traitée, elle nous a valu deux chefs d’œuvre nippons, l’extraordinaire Tombeau des lucioles d’Isao Takahata et le plus récent, et plus amusant, Sengo de Sansuke Yamada.

Paraiso - Suehiro MaruoLes héros de Paraiso sont de jeunes orphelins meurtris, une pauvre femme ayant tout perdu et deux prêtres catholiques. Le premier est un religieux déchu, tyrannique et pédophile. Le second est un personnage historique, le père franciscain Maximilien Kolbe, qui donnera sa vie pour sauver un père de famille, en mourant, à sa place, de faim et de soif.

Le dessin est éprouvant. Son trait est fin et froidement réaliste. Ses enfants sont plein de vie et d’entrain, ils tentent de survivre en s’entraidant, en volant ou en se prostituant, question de circonstances. Ses adultes sont cruels, souvent sadiques. Quand une société s’effondre, les déviances ne se cachent plus, tout semble permis. La seconde partie s’attarde dans le bunker de la faim d’Auschwitz. La violence s’y fait insoutenable. Les nazis condamnent à mort dix innocents. Nous assistons à l’annonce du tirage au sort, au sadisme des kapos, à la terreur des captifs, au désespoir des désignés, puis au lâche soulagement des autres. Or, l’un des dix était volontaire. Dès leur petite enfance, les Japonais avaient été conditionnés à offrir leur vie pour l’Empereur et pour la gloire de ses armes, mais certainement pas pour sauver un pauvre type. Ce sacrifice leur est objectivement incompréhensible. Suehiro Maruo observe, décrit, mais ne commente pas.

Stéphane de Boysson

Paraiso
Scénario et dessin : Suehiro Maruo
Éditeur : Casterman
192 pages – 18 €
Parution : 18 janvier 2023

Paraiso — Extrait :

Paraiso - Suehiro Maruo
© 2023 Casterman