Caroline Polachek, 4 ans après un premier album publié sous son patronyme, réussit à trouver le mix entre des compositions plus ambitieuses et une voix plus affirmée. L’album, explorateur de sons, est porteur de l’énergie du désir qui fait son titre.
Du passage de Caroline Polachek jusque en 2017 au sein de Chairlift, j’avoue ne pas avoir gardé un souvenir impérissable sur la durée. J’avais bien aimé la première itération du duo/ trio formé et Aaron Pfenning pour lequel je trouvais plutôt réussi le mariage d’une synth pop pas loin du minimalisme, parfois. Du genre qui convoquait chez moi les ambiances mêlées de Stereolab et des Cure. Après le départ de Pfenning, j’ai été content de me rendre compte que le duo formé avec Patrick Wimberly emmenait le groupe vers plus de lumière et d’inventivité.
Mais pour une obscure raison, là aussi, malgré un niveau de plaisir d’écoute évident, je ne suis jamais arrivé à faire de Chairlift un de mes groupes de chevets. Pour cette même raison mal définie je constatais mes sautes d’intérêt, d’un morceau à l’autre du même album, sans jamais arriver à comprendre ce qui faisait que le groupe n’arrivait pas faire en sorte que ses véhicules sonores n’arrivent pas à rejoindre mon carrefour musique-voix-mélodie exactement au même moment pour produire entre mes oreilles la pop song parfaite. Celle qu’on s’approprie et que je n’aurais pas lâché.
Après trois albums en groupe, Polachek a démarré en solo… Et a délaissé une partie de son inventivité mélodique pour renforcer (et mettre plus en avant dans le mix) la magie indéniable de sa voix qui de “belle voix” a acquis à mes yeux un côté “envoûtant” mais pas encore une magie totale.
Pang en 2019 est le témoin parfait de cette évolution. Sa voix est belle, pure, arrive à se frayer un passage jusqu’aux émotions. Pas pour rien que parfois certains critiques la comparent à Kate Bush. Un vague côté un peu sorcière. Contrebalancé par des mélodies en demi-teintes et trop “charming” à mon oreille pour venir la provoquer un peu.
Dans mon esprit Caroline Polachek est devenue une artiste “France Inter”. Qui porte une esthétique, un côté arty, un voix limpide et aucune aspérité. Une Christine and the Queen à l’américaine. Tellement rien de mal à dire de sa musique, que j’en arrivait aussi à être incapable d’en raconter quoi que ce soit de transcendant. Lisse, propre, voix maîtrisée et sans bavure, DA calibrée pour défiler sur le catwalk ou devenir égérie d’une marque de parfum.
Puis vient Desire, I want to turn into you paru ces jours-ci. Et j’ai envie de crier : Enfin !
Caroline Polachek réorganise sa petite entreprise personnelle, reprend ses ingrédients et compose une recette qui envoie à la fois Christine and the Queen en seconde division et Desire… tutoyer mes indispensables. L’américaine trouve l’exact mix de la perfection pop qu’aurait pu avoir Chairlift dès le premier jour: magie !
D’abord, des compositions plus ambitieuses qui ne tirent pas vers la noirceur l’impression d’avoir à s’excuser d’être là. Les créations sont pleines de petites expérimentations dans les arrangements, qui faisaient les meilleurs moments du Chairlift seconde époque. Mais sur 12 créations, pas une ici qui soit légèrement en retrait ou moins inspirée. Tous les morceaux sont pop, sans exubérance mais chaleureux à défaut d’être toujours joyeux, tous les titres installent la mécanique de la ritournelle qu’on finit par avoir envie de fredonner.
Et ce n’est pas que parce que le dossier de presse parle de sa composition en partie liée à un voyage en Méditerranée en 2021 que j’ai envie de parler de voyage, pour l’évoquer. L’album est littéralement en mouvement, croqueur, explorateur de son (cornemuse….) , porteur de l’énergie du désir qui lui donne son titre. Vivre, explorer, découvrir, assumer.
Il y a une trouvaille sonore par morceau et la production à quatre mains avec Danny L. Harle sait jouer du rebond entre les gimmicks vocaux et les éléments électroniques qui y répondent. Parfait, vraiment. Rien que pour les petits ritournelles idéales mais jamais grandiloquentes, cet album mérite de tourner en boucle sur toute bonne platine (ou dans tout Spotify si c’est ton truc). Desire, est un disque où on passe d’une ambiance à l’autre, d’une marche à la course, d’une sieste au soleil aux pleurs du petit matin. Idéal à toute heure.
Ensuite et surtout : Caroline Polachek n’y fait pas que dompter sa voix, elle la transcende. Je savais sa voix charmante, on la découvre virtuose. Portée par le mixage et la composition, toutes les mélodies tiennent sur et par la force, l’efficacité, le charme et l’intensité avec laquelle la chanteuse y projette sa voix. Des mediums dans lesquels on la connaissait, elle passe en force des séquences qui ne tremblent ni ne vacillent ou des aiguës éthérées qui ne s’excusent pas d’essayer et de franchir les obstacles haut la main. Les notes sont tenues, longues, amples, mises en écrin dans le mix et par une production toute entière mise au service de ses cordes vocales.
L’ensemble est d’une pureté pop impressionnante. La sensation de rivières de son est totale. Le côté poétesse maudite cède la place à quelque rite chamanique. La voix emmène, emporte, envoûte, rend triste et fait voyager. J’avoue que ça fait longtemps que je ne m’étais pas laissé emballer comme ça par une voix. Énorme.
Tout est beau, mais beau n’est pas suffisant. Il y a une version intellectualisée du désir dans cette musique, mais l’essentiel n’est pas encore vraiment là. Il y a une incantation vitale : vivre sa vie et, comme il semble émaner de cet album ressentir une forme de libération du qu’en dira-t-on et de l’auto excuse à être là.
Desire, I want to turn into you, est le disque d’une musicienne qui sait qui elle est et assume ce qu’elle a, ce qu’elle peut provoquer. Un album à rendre amoureux de la pop, et de la démarche. Et à écouter, puis réécouter, et réécouter encore
Denis Verloes